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JEANNE DARG

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ce délai était indispensable pour établir s’il fallait voir dans la suppliciée de Rouen une visionnaire, jouet de son imagination, ou une envo3éc de Dieu. Que la paix d’Arras, que la rentrée de Paris en l’obéissance de son souverain légitime, que le retour du duc d’Orléans de sa captivité d’Angleterre n’eussent été que de vaines espérances, et la Pucelle eût à jamais perdu tout prestige. En revanche, lorsque les contemporains virent ces événements se produire de façon éclatante, lorsque s’y ajoutèrent la capilulation de Rouen, la conquête de la Normandie et enfin la délivrance du territoire, on eut la preuve que la mission de survie de Jeanne n’était pas un vain mot, que sa mission totale était ponctuellement accomplie. Frappé de ces manifestations providentielles qui faisaient la lumière atte : idue, le elief de l’Eglise jugea l’heure propice et, sortant de son silence, il prescrivit la revision solennelle du procès de 1431.

Il n’y fallait pas songer tant que la Normandie et sa capitale restaient au pouvoir des Anglais. Sur cent quarante-quatre dépositions reçues aux diverses enquêtes, cinq>iante-cint( furent dues à des religieux, prêtres, chanoines ou bourgeois normands.

L’évêque de Ueauvais, l’Université de Paris et le gouvernement anglais n’avaient pas manqué, au lendemain du drame du Vieux-Marché, de le présenter à l’opinion sous le jour le plus honorable pour eux et le plus ignominieux pour leur victime. Tandis que Pierre Cauchon mettait la main à la fausse et abominable Information posthume (- juin i^31), le roi d’Angleterre écrivait à l’Empereur, aux princesclirétiens, aux prélats, ducs, nobles et cités du royaume les lettres (]u’on peut lire à la suite du procès. De son côté, l’Université de Paris en adressait une semblable au Pape et au sacré ( ; ollège. Il importait de ne pas laisser s’accréditer des mensonges non moins outrageants pour le roi de France que pour la jeune lille à laquelle il devait sa couronne. Charles VU comprit ce que le pays attendait. Trois mois environ après son entrée dans Rouen, le 15 février 1450, il donnait à son « ami et féal conseiller, maître Guillaume Bouille », docteur en théologie et doyen de Noyon, mission de rechercher la vérité sur le procès de la Pucelle. Les 4 el 5 mars suivants, maître lîouillé effectuait une première enquête et entendait sept témoins, dont cinq assesseurs de révé<[ue de Ueauvais et deux ofliciers du tribunal. Ces jours-là, le procès national de revision commençait, en attendant celui du Saint-Siège.

Pour préparer le procès canonique de revision, le cardinal Guillaume d’Estouteville, archevêque de Rouen et légat du Pape, ouvrit d’ollice une information dans laquelle une vingtaine de témoins furent entendus (mai 145a). En même temps, des consultations spéciales étaient demandées à des canonistes. Restait à obtenir du Souverain Pontife la nomination d’un tribunal avec pleins pouvoirs. Ce furent la mère de la Pucelle et ses deux frères. Pierre et Jean, qui adressèrent au pape régnant une supplique à ce sujet. Calixte 1Il l’accueillit favorablement. Le Il juin 1455, un rescrit pontifical confiait à Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, à Guillaume Chartier, évêque de Paris, et à Olivier de I.ongueil, évcque de Coutances. la mission de revoir le procès de Rouen, de rechercher si la Pucelle avait mérité sa condamnation, et de « rendre en dernier ressort une sentence selon la justice ».

Le 7 novembre suivant, lanière de Jeanne d’Arc et ses deux fils, accompagnés de nombreux amis, se rendaient dans l’église Notre-Dame de Paris devant les délégués du Saint-Siège et demandaient que la cause fut ouverte. Les prélats déclarèrent se constituer juges, avec l’inquisiteur Jean Rréhal en

qualité de juge adjoint, et la première comparution des personnes intéressées fut lixée au 12 décembre à Rouen. Toutes les précautions furent prises pour i|n’aucune des règles de la i)rocédure canoni(pie ne fut négligée, et surtout pour en arriver à la manifestation complète de la vérité. D’importantes enquêtes eurent lieu et se poursuivirent jus(pi’au mois de mai 1456, dans le Barrois, à Orléans, Reims, Lyon et Paris. A Domremy, Toul, Vaucouleurs, on entendit trente-quatre témoins ; à Orléans, quarante et un ; à Paris, vingt ; à Lyon, le chevalier d’Aulon ; à Rouen, dix-neuf ; — en tout, avec les vingt-neuf dépositions de 1450 et 1452, antérieures au procès, cent quarante-quatre.

Le a juillet 1456, les recherches et travaux du tribunal étaient terminés. Les juges désignèrent le 7 juillet pour le prononcé de la sentence. Elle fut rendue de la façon la plus solennelle dans le i>alais archiépiscopal de Rouen. En présence des avocats de la cause, des représentants de la famille de Jeanne et de Jean son frère, l’archevêque de Reims, au nom des trois prélats délégués et de l’Inquisiteur de la foi, déclara « le procès de condamnation et les sentences qui s’ensuivirent entachés de dol, de calomnie, d’iniquité, d’erreur manifeste en fait et endroit, et conséquemment nuls, sans valeur et sans autorité ». Il ajouta que ladite Jeanne n’avait encouru ni contracté à l’occasion des sentences susdites aucune note ou tache d’infamie ; que, du reste, autant que besoin était, on l’en délivrait totalement. Il fut arrêté, en outre, que les fameux

« douze articles », extraits calomnieux et dolosifs du

procès, « seraient arrachés dudil procès et lacérés judiciairement » ; que, « le jour même, la promulgation de la présente sentence aurait lieu sur la place de Saint-Ouen, et, le lendemain, sur la place du Vieux-Marché, avec une prédication solennelle et la plantation d’une croix ». Jamais, remarque Lenglet-Dufresnoy, sentence de réhabilitation n’a été rendue de façon aussi expresse et aussi solennelle.

Le 27 janvier 189^, Léon XIU la confirmait quand, accédant à la supplique de l’évêque d’Orléans, Mgr Dupanloup, et des évêques de France, il déclarait Jeanne d’Arc Vénérable servante de Dieu, et introduisait la cause de sa béatification.

Le 6 janvier 1904, Pie X ajoutait encore à la gloire de l’héroïne en décrétant « qu’elle avait pratiqué au degré héroïque requis les vertus théologales, les vertus cardinales et celles qui leur sont annexes ». A la lin de l’année igoS, les miracles présentés à la Sacrée Congrégation des Rites pour la béatification de la servante de Dieu ayant été canoniquement approuvés, Sa Sainteté a fixé la proclamation du décret de béatification au 18 avril 1909. -1.^).iT, (, "-^^^ii ! ^Vi,

L’histoire redira l’enlliousiasme de la Fra’nce pour" la sainte qui désormais incarne aux yeux des croyants l’amour de la i)atrie, la contagion de cet enthousiasme dans les milieux les plus fermés à l’esprit chrétien, et les efl’orts de la libre-pensée elle-même pour laïciser la mémoire de Jeanne d’Arc.

VI. — L’histoire de Jeanne d’Arc et la critique

L’histoire de Jeanne d’Arc est l’histoire d’une grande Française, d’une héroïne sans peur, d’une sainte sans reproche. La présente notice ne répondrait pas à l’attente du lecteur si elle ne rappelait les questions sur lesquelles les historiens étaient divisés, et les travaux qui en ont amené la solution.

Des sources principales de l’histoire de la Pucelle : leur valeur comparée. — Personne n’ignore que les deux grandes sources documentaires de l’histoire de la Pucelle sont les procès de condamnation et de réhabilitation. Le procès de condamnation emprunte