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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/673

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JESUS CHRIST

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« On est Juif, on reste Juif, et Jom' : phe pouvait sou

tenir à bon droit qu’aucun Juif n'était inlidi’le à la Loi. Ce ne sont pas les Juifs qui doivent devenir Grecs, 'nais les Grecs, Juifs. ' »

85. — Un autre indice très net de l'état d’esprit des « dispersés », aux temps évangéliques, peut se tirer de l’attitude religieuse de Paul de Tarse et de celle des communautés juives qu’il commença par évangéliser. Ces hommes parlent le grec commun de leur temps, ils sont en rapports quotidiens d’allaires, de relations, avec leur entourage païen ; ils profitent de la paix romaine et se prévalent du titre du citoyen romain, quand ils le possèdent. Mais à l’endroit de la religion de leurs voisins et de leurs vainqueurs, quel mépris, disons mieux, quel dédain traniiuille I « Culte des démons », « religion, x, de néant » ; rappel, à travers cette vile mythologie, du Dieu inconnu, du Dieu unique, du Dieu vivant et voyant qu’une idolâtrie sans excuse frustre de son dû, tout en précipitant ceux qui adhèrent à cette idolâtrie dans un abîme de maux et de vices innommables. Comparaison établie, aux moments d’ironie et d’indignation, entre le a calice du Seigneur » et le

« calice des démons », car « ce que les païens offrent

en sacriûant, ils l’immolent à des démons, et non à Dieu » (I Cor., x, 20) : il est bon de relever tous ces traits, et nous aurons à rappeler cette attitude intransigeante à ceux qui proposent de faire une part, non plus dans le judaïsme contemporain du Christ, mais dans les plus anciennes origines chrétiennes, à des inlillrations païennes importantes '-.

86. — Général en Israël, l'état d’esprit que nous venons d’esquisser était naturellement porté à son comble en Palestine. Le culte solennel du Temple ; la présence au milieu du peuple des plus célèbres rabbis et des pliarisiens ; le souvenir indigné des souillures idolâtriques qui avaient, au temps des Macchabées, contaminé la Ville sainte et même de nombreux ûls d’Israël ; la réaction et la rancœur contre les Gentils triomphants et leurs odieuses enseignes, tout contribuait à entretenir dans les âmes un invincible éloignement pour la superstition des Nations.

« Mieux que la littérature, les faits nous révêlent la

profonde aersion du peuple pour l’itlolâtrie. Sur lu grande porte du Temple, Ilérode avait fait placer une aigle d’or, le peuple l’abattit ; Pilate provoqua une révolte pour avoir

1. A. Bektiiolf.t, Bi’A/. Theol. des A. T., II, p. 482, 483. — PiMLON lui-même, le plus hellénisant des penseurs d’Israël, ne fait pas plus exception que ceux de ses prédécesseurs dont les œuvres ne nous ont été conservées qu'à l'état fragmenlaire. Assurément, son exégèse allégorique, en faisant « j.lier entre ses mains le texte sacré », le défendait mal contre la tentation de retrouver toute la philosophie, toute la mythologie gi-ecque dans la Loi de.Moïse. « S’il fut retenu sur cette pente si glissante », >i sa conception de Dieu est plus pure, plus ferme, plus religieuse que celle de ses maîtres hellènes ; si son Dieu est un Dieu vivant, non une entité abstraite ; si les Puissances sont pour lui moins « des réalités absolues », des dieux secondaires, que des reflets visibles de l’Etre transcendant du Dieu unique ; si son Logos, en dépit des fluctuations de son langage, ne possède pas d’individualité personnelle et n’est que la première des Puissances, la plus élevée des images où s’arrête v humain, impuissant à contempler Dieu en lui-même — (( ce fut par son attachement sincère à son Dieu, à sa religion, ft ses traditions nationales », J. Lebketon. Orîi ; ines, p. lâU.

2. Là-dessus E. Maxgenot, 5. Paul ei Us reUi^ioiis à mystères, Paris, 1 ! I14 ; E. Kkebs, Das reli^lnnsgcscInclitUclie Problcm des i’rchrislenlums, Munster, 1913 ; U. A.-A.KfnNEDY, 5. Paul and the Mystery-Rehglons, Lonilon, 1913. M. LoiSY, reflet intelligent de l’exégèse radicale a la mode, a repris et mis au point, en 1913, dans la Revue d’Histoire et Littérature religieuse^ certaines idées de Reitzenstein.

fait entrer à Jérusalem ses troupes portant les images des empereurs ; pour éviter un pareil soulèvement, Vitellius, se rendant d'. tioche à Pctra, céda aux instances des Juifs et fit un long circuit plutôt cpie de traverser la Palestine. Quand Caligula voulut faire mettre sa statue dans le Temple de Jérusalem, l'émotion populaire fut telle que Pétronius, le gouverneur de Sjrie, recula'. »

87. — Mais la littérature même, où Us crudils

« comparatistes » cherchent leur point d’appui, ces

livres aj)ocalyptiques où, dans la démonologie, dans la description des lins dernières et des catastrophes grandioses imaginées à ce propos, l’on a relevé des ressemblances avec certains traits de l’eschatologie iranienne et même babylonienne-, restent, sur le point capital du monothéisme et de la médiation nécessaire d’Israël par rapport aux Gentils, d’une clarté décisi^e.

88. — Les traces d’influence sul)ie font ressortir d’autant mieu.x l’indépendance éclatante de la religion juive en sa substance. Jamais ne s’aflirma plus haut qu'à cette épocjue la transcendance absolue, ' exclusive, jalouse, de lahvé : jusqu'à la correction du texte sacré qui renfermait le nom divin, jusiju’au scrupule de le prononcer et de l'écrire, et à l’adoption pour le désigner de termes équivalents, censés plus respectueux : « les cieux », « le Béni », etc. 3. Contre ce monothéisme intransigeant, rien ne jjrëvaut : les ehorts opportunistes d’Hcrode et de ses successeurs pour acclimater en Judée quelques timides formes du culte impérial furent totalement perdus : « Sur le sol palestinien, remarque Bkrtiiolet ', jamais ce culte ne posséda la moindre puissance », alors qu’ailleurs il se superposait sans peine à ses rivaux, et très souvent les supplantait. La grande parole de Jésus, promulguant à nouveau, comme le premier et le plus grand des commandements, l’adoration exclusive el l’amour souverain de Dieu, est l’cclio du peuple juif tout entier. Mais plus que cette réplique, dans laquelle le Seigneur recueille et fait sien l’héritage sacré d’Israël, c’est sa vie entière, sa religion profonde et filiale qui protestent contre la pensée de faire intervenir, dans les précédents acceptés par lui de son message, des suggestions païennes.

89. — Nous ne contestons pas povir autant que certaines de ces conceptions se rapprochaient par leur orientation, par les espérances quelles exprimaient, par les.aspirations qu’elles traduisaient, de l’attente d’Israël. Celte attente était connue bien au delà des limites de la Judée, el, par les « dispersés », quelque chose en filtrait dans les ténèbres du paganisme. En dehors même de toute question d’emprunt ou d’imitation, les besoins profonds de l'âme liu-| maine exlialaient, comme une plainte immense, la demande à laquelle devait répondre l’ollre divine. Saint Paul rappelle que l’humanité (et la création tout entière) cherchait alors à tâtons, appelait de ses désirs confus un libérateur, un guide, une vie meilleure. Jésus constatait volontiers les bonnes dispositions de certains Gentils el les opposait à l’incrédulité des enfants d’Abraham. Mais le disciple comme le Maître savaient aussi que le salut devait venir d’Israël, et que, loin d’emprunter aux doctrines religieuses des Nations, l’Evangile était justement

1. J. Lebreton, Oriifines, p. 93 et les références.

2. J.-B. Fhf.y, Vangélologie juive au temps de Jrsus Christ, dans la Revue des Sciences philusophiques et tlicoîo^iques (de Kaînl 1911, p. 7.5-110 ; Ferd. PaAT, A" théologie de saint Paul. U, Paris, 1912, note D… p. 111-117, le Royaume de Satan ; J. Smit, De Dæmoniacis in historla eiangelica. Rome, 1913, p. 89-172.

3. Voir les faits réunis par V. Boisset, Die Religion des Judcntums'-…, p. 352 sqq.

4. Lib. laitd., p. 360-361.