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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/702

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JESUS CHRIST

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qui rejette toute sollicitude temporelle pour s’attacher de toutes ses forces à l’expansion du Règne de Dieu et de la meilleure justice… Ces indices nous permettent de ramasser nos impressions dans le mot qu’employait de préférence la grande mystique génoise, sainte Catherine Fiesca Adorna, pour rendre tout ce qu’elle contemplait en Dieu : Aettezza ! De la pure plénitude de l’Etre divin, la vie intime de Jésus offre la plus belle image qu’il ait été donné aux hommes de contempler. Les richesses évangéliques. pour autant qu’on peut sommairement les inventorier, trouvent leur ordre, leur équilibre et leur achèvement dans l’incomparable limpidité de cette âme.

C. — Le mystère de Jésus

189. — Qu’il y ait eu en Jésus de Nazareth quelque chose de divin, ou tout au moins de surhumain, c’est ce que reconnaissent unanimement ceux de nos adversaires qui n’ont pas, en suite il’options philosophiques dont ils n’entendent pas se départir, a leur siège fait >'. Un rationaliste conséquent, im hégélien logique admet que le progrès total du monde, dont le progrès religieux n’est qu’un aspect particulier, s’opère par avances fatales et constamment orientées dans le même sens, le terrain gagné ne pouvant plus se perdre, et la synthèse de demain dépassant nécessairement, tout en l’englobant partiellement, celle d’aujourd’hui'. Un tel homme, exégète, historien, théologien, tenant ces données pour incontestables, ne peut évidemment reconnaître en Jésus qu’un anneau de l’immense chaîne. Il ne peut voir dans sa carrière qu’un pas vers la réalisation de l’idée, une « synthèse » qui deviendra « thèse » à son tour, pour être ensuite contredite et enfin dépassée. Si les faits ne lui semblent pas s’accorder avec ses cadres philosophiques, cet homme donnera tort aux faits, et toute explication lui sera bonne qui fera rentrer le Maître de Nazareth dans le grand courant panthéiste, où tout est linalement nivelé.

190. — Mais le plus grand nombre des esprits, même en dehors du christianisme catholique, refuse heureusement de se couler dans ces cadres a priori. Toute fécondée qu’elle ait été par l’hypothèse de révolution, la théorie hégélienne perd du terrain. Ni les protestants libéraux, ni (et beaucoup moins) les conservateurs et les Anglicans, ne se refusent à admettre en Jésus la présence d’un élément divin. Les premiers nommés ont été, dans ce qui précède, sommés de définir l'élément « prophétique » ou, selon le mot de M. 'W. Bocsset, a plus que prophétique », qu’ils revendiquent pour Jésus. Leur position est instable, nous l’avons montré : il leur faut ou rétrograder vers un rationalisme conséquent et ne voir dans le Sauveur qu’un prophète semblable aux autres, peut-être (à condition encore de renoncer à l’hypothèse évolutionniste) le plus grand des prophètes : ou aller au delà, et reconnaître en lui quelque chose de proprement di^in.

191. — Cette dernière position est celle qu’adoptent, avec nous les protestants conservateurs et les

1. Je décris brièvement ici l’hegelîanisme liistorique, celui qui a agi en fait sur le terrain de i’hisloire religrieuse, celui qui a inspiré Strauss et Renan. Qu’il y ail, de la philosophie de Hegel, — d’autres intepprélalinns possibles, — plui subtiles et plus nuancées, c’est ce que je n’ignore pas après les travaux d’Ed. Caird, de ilM. Georges NoëL, E. Mac Tacgart, etc. Mais parlant ici exégèse, nous n’avons pas à entrer dans ces discussions, restant incontestable que c’est cette intcrprètation-îh de l’hegelîanisme qui a.igfi et contÎTine d’agir sur ce terrain. Sur Strauss en particulier, voir Albeit Li vv, Oavid-Frédérie Strau » 3 : la wie et taïufre^ Paris, 1910, ch. m et it.

Anglicans. Mais quand il s’agit de définir ce a quelque chose j, cet élément divin, c’est une confusion qui n’a d'égale que celle des o explications ». des comment proposés pour rendre vraisemblable l’union, dans le Christ, de cet élément transcendant avec l’humain, i.a question est surtout d’ordre tliéologique, et nous pourrions ne pas nous y attarder ici, contents de souligner ce qui nous rapi>roche des auteurs auxquels il est fait allusion. Toutefois cette attitude ne paraît ni habile, ni même tout à fait loyale. Plusieurs protestants en elfet, et même quelques, glicans. aheurtés à cette difficulté et l’esprit préoccupé d’un rationalisme inconscient, proposent des solutions qui « ^e ramènent, en lin du compte, à celles des protestants libéraux. X ces derniers, nous n’avons rien à dire pour l’instant. C’est tout ce travail qui doit montrer que leur prétention est religieusement, et historiquement, insoutenable.

192. — Restent donc linalement ceux des protestants conservateurs et des Anglicans qui, renonçant au dogme chrétien défini à Ephèse et à Chalcédoine (ceux d’entre eux qui acceptent ces dogmes' sont, comme les o orthodoxes » grecs, en ce qui touche la doctrine du Christ, tout à fait avec nous), prétendent maintenir l’existence, en Jésus, d’un élément divin. C’est le cas de beaucoup le plus général. Un spécialiste en histoire des dogmes, et notamment en christologie. M. Fr. Loofs, nous assure qu' « il y a à peine un théologien [protestant ! instruit — je n’en connais pas un seul en Allemagne — qui défende la christologie orthodoxe dans sa forme pure » ^. De son côté, le professeur T. B. Kilpatrick, parlant pour les théologiens d’Angleterre et d’Amérique, adopte le verdict sommaire du Principal Dvkes, selon lequel le dogme défini à Chalcédoine « n’est de nature à satisfaire ni le cœur ni la tête' ». Le D' H. R. MacKixTOSH pense de même '. Avec plus de mesure et de respect, et tout en plaidant pour le dogme des deux natures les circonstances atténuante ?, M. William Sanday n’y voit pourtant qu’une conceptioji, indispensable en son temps, mais précaire et actuellement dépassée^.

193. — N’acceptant pas la solution chrétienne définie aux iv>î et V' siècles, tous ces théologiens s’engagent à en fournir une autre, meilleure. Beaucoup ont cru la trouver dans une théorie qui emprunte sa formule au passage célèbre de l'épîlre aux Philippiens où le Christ est montré « se dépouillant », se a vidant » en quelque sorte de lui-même (tys^tu^î-j i'/'j-iv : e.rinanivit semetipsum). De là à conclure que le Verbe s'était dépouillé, en s’incariiant. de tout ou partie de ses attributs divins, la pente était facile. Tout en permettant d'échapper à l’idée (insoutenable en effet, mais aussi formellement

1. Parmi ceux-ci, et bien qu’il y eût des graves rése^^e8 à présenter sur la façon dont il propose d’entendre la

« self-limitatioo > du Christ incarné, il faut mettre au

premier rang le D' Charles GoRE. The /iicariiati’U of tlie Son ofGod^ London, 1891, et aurloai Dissertations on snbjecia connected n’il/t tfie Incarnation -^hondon, 19tt7. L’auteur s’efforce d’expliquer dans ce dernier ouvrage, p. 207-213, comment ses hypothèses sont consistantes avec le sens pîénicr des décrets conciliaires, en particulier avec celui qui enseigne l’intégrité des deua nalui’cs dans le Christ.

2. Wliatist/ie Truth abolit Jésus Christ, Edinburgh, 1913, p. 184. M. Loofs, en plus de sa Dogmengesehichte^. Halle, 19n6, et de sa SymboUh, Tdbingcn, I. 1902, a composé les articles Christologie, Kenosis, etc., de la PRE^.

3. Dictionary nf Christ and the Gospels, I, 1906, s. v. Incarnation, p. 812. B.

4. Dans son livre considérable, The Doctrine of the Person of Jésus Chnst, Edioburgfa, 1912.

5. Christologîcs, ancieni and modem, Oxford, 1910, p. 54-55.