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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/703

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JESUS CHRIST

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héréliquo) selon laquellc l’union li postalique se serait accomplie pai' le niélaujJC des deux natures, divine et humaine, présentes dans le Christ, ee dépouillement, cette « kéni>se ii, pouvait se diversifier et se doser à l’inlini. Chacun mesura aux exigences de sa philosophie particulière le sacrilice prétendument consenti par le Verhe. l’our certains luthériens du siècle dernier, le Christ aurait, durant sa vie huniaine, cesse d'élre Dieu.' La plupart sont moins radicaux et distinguent, des attributs intrinsèques et fondamentaux que le Verbe incarné aurait retenus, certains attributs extrinsèques, propres à la

« forme de Dieu » et non à la « forme d’homme » 

(tels l’omniscience, l’ubiquité, etc.). Sous l’une ou l’autre de ces modalités, cette théorie, l’ondée sur une fausse interprétation du passage de saint Paul qui lui sert de point de départ ', nous met de plus, sous couleur d'éviter le mystère, en face d’une contradiction. Dans sa forme extrême, elle nous présente une personne se dépouillant de ce qui la constitue personne. Cette énormité mérite assurément les sévérités de M. F. LooFS, concluant un long- mémoire sur la kénose par ces paroles : o Toutes les théories que nous faisons, pauvres hommes, sur l’Incarnation divine, sont déflcientes, mais de toutes la plus déûoiente est la moderne théorie de la kénose^. » Ailleurs, le même théologien s’exprime plus fortement encore contre cette « théorie morte » — là du moins où elle a [>ris naissance, en Allemagne — et qvii relève plutôt « de la luylhologie que de la théologie * ». On ne saurait mieux dire.

194. — Toutefois la conceptionduu dépouillement » peut, nous l’avons vu, s’atténuer, se dégrader pour ainsi parler, de bien des manières. Et sous telle ou telle de ces formes adoucies, elle a joué un grand rôle, qu’elle tient encore partiellement, dans la théologie anglicane *. La limitation volontaire que, d’après le D' GoRB, s’imposa le Christ, 1' « abandon réel », la « remise » qu’il lit de tel de ses attributs divins extrinsèques, permettent de ranger le savant anglican parmi les tenants modérés de la kénose ; le D' Mackintosh marche plus avant dans la même voie^, et le Prof. J. Bethune Baker, de Cambridge, ne craint pas de dire qu’il ne voit pas, pour sa part, d’autre moyen propre à concilier une véritable expérience humaine en Notre-Seigneur avec la croyance en sa Divinité^.

Mais il faut s’entendre. S’il s’agit d’une limitation dans l’usage, dans l’exercice de certaines prérogatives divines, on n’aura nulle difficulté à reconnaître ce « dépouillement d, cette « humiliation », cet

« anéantissement " qu’imposait la pratique d’une vie

humaine réelle ; si l’on veut aller i)lus loin (et toute véritable théorie de la kénose va jusque-là) en soutenant qiie le Verbe incarne renonça en l’ait, abandonna quelqu’une des propriétés constitutives de sa

1. Le Verbe " se déptuiille, non en ri-jetant la forme divine, qui était inséparable de son être, mais en cacluTnt so fnrmc divine sous une forino luiniaine et en renonçant ainsi poar un temps anx hotinenrs divins qui lui étaient dus ». F. Ph.vt, la Théuln^ie de saint Paul, H, Paris, 1912, p. 187. Ou peut voir également rexoellente dissertation consacrée par le même auteur au « Dépouillement du Christ, ou Kénose » ; Ibid.. p. 23'.)-24 ; i.

2. Keiiosi$, dans la PRE--, X, 1001, p. 2r, ;  !.

i. What i, Ihe Tiulh ab^iut Jésus Christ ? 101 ;), p. 222 s.jq. ; 22(1.

4. Là-dessus, W. Sa : « day, Chriatulosçiea^aneivni and mader », IVMO, p. 73 sqq.

.'>. The l)ii, /iine of the Person of Jésus Christ, l’Jl2

ti. (I It is tlie oïdy theory known lo me wliich « llows for ihe genuitïely human expérience of Our Lord and the Christian helief in His tiodliead. >) The Jcnrnal of i/ieofojfical Sludies..V, oclob. l’Jl :  ! , p. liW.

nature divine, ou consécutives à la possession de cette nature, on se met hors du terrain de la tradition chrétienne.

193. — Beaucoup d’Anglicans le fontdéliliércmenl. Les autres, et l’unanimité (moralement ])arlant) des protestants conservateurs, mécontents de cette conjecture de la kénose, cherchent d’aiilres voies. Mais il n’est pas aisé d’en ouvrir de tout à l’ait nouvelles, et nous voyons qu’il n’est presque aucun des errements anciens — de l’arianisme et de l’apoUinarisme au mono[>h}'sisme — qui n’ait troivé de nos jours un tenant plus ou moins conscient et complet. Plus originaux, sinon plus heureux, sont les essais qui s’inspirent d’une théorie philosophique contemporaine. Celle qui délinitla [lersonne pai' la conscience pyschologique, a fait de nombreuses victimes. Le Professeur Sa.vday, tout en nuiintenanl explicitement la divinité du Christ, recourt aux observations et aux généralisations conjecturales qiii ont élargi jusqu'à l’inlini, potirrail^on dire, le domaine et la compétence du subconscient'. D’après lui, la conscience claire du Christ aurait été entièrement, exclusivement humaine ; mais cette conscience n’est pas la mesure de l'être humain, et beaucoup moins du Christ. Au-dessous du moi superticiel, s'étend en profondeur le moi subconscient, et c’est là, dans ce nœud subliminal de tout l'être, qu’aurait résidé le fonds inépuisable de ces trésors divins dont saint Paul nous dit qu’ils étaient cachés dans le Christ. C’est de là que serait monté peu à peu, jusqu'à la connaissance et manifestation distinctes, sous l’orme de pressentiments, de vues partielles, d’anticipations, tout ce qu’une conscience, une pensée, )ine parole humaine pouvaient porter et transmettre de l'élément divin présent en Jésus.

196. — Cette théorie trop ingénieuse, fondée ellemême sur des données hj’pothétiques et très contestées, n’a guère trouvé d'écho. Elle vient se briser contre cette difficulté majeure qu’en ce cas Jésus n’eut pas conscience d'être Dieu, quoiqu’il le fût ; que ni sa parole, ni sa pensée distincte n’allèrent jusque-là ; que notre jugement sur Jésus de Nazareth dépasse donc celui que lui-même pouvait porter, et porta en fait, sur sa personne ; que notre profession de foi :

« Jésus est Dieu », doit s’expliquer ainsi : c< au-dessous du moi superficiel, conscient, s'étendait en Jésus

de Nazareth, intégrant le moi humain total, un Moi profond, inefl’able, subconscient, lieu et siège d’une « Déité >s en continuité avec l’infini de la Divinité '- ". Même parmi ceux que n’eût pas décidés l’incompatibilité de cette conjecture avec les positions catholiques traditionnelles, bien des gens ont pensé, non sans raison, que c'était là expliquer obscttriirn per obsciiriiix.

197. — Faut-il mentionner d’autres essais ? Il n’est guère de conception totale des choses, de philosophie nouvelle (ou censée telle) qui ne puisse donner lieu à des applications de ce genre, fruits d’une science beaucoup moins bien informée que celle de M. Sanday. Nous aurons probablement, nous avons peut-être déjà une théorie de l’Incarnation établie dansles lignes de la philosophiede M. HenriBEncsoN.

Les voies tentées par les protestants conservateurs du continent sont encore moins engageantes. Celui

1. Chrislologies, lectures vi et vu. —.le me suis longuement expliqué à ce sujet dans les Recherches île science relif ; iei, se, 1911, p. I".t0-208. Depuis, le D' S.indoy a tenté de répondre aux objections opposées il sa thèse, en particulier ù celles de M.Alfred Gautif. dans Personality in Christ and in Ourselnes, Oxford, I'.ll2.

2. Christologies, p. Ififi sqq. — Je résume brièvement ici l’argumentation développée dans l’article précité des Recherches de science religieuse, mars 1911.