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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/705

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JÉSUS CHRIST

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La li^'ne de démarcation, claire aux yeux de tout homme que ne séduit >às le miiage panlliéiste, le faisceau lumineux qui replonge, en s'éclipsant, l’esprit dans un obscène chaos, — cette ligne laisse décidément Jésus de Nazareth du côté divin. Dans cette perspective, on s’explique que, pour connaître le Fils, il ne faille rien de moins que la science inlinie du Père, on comprend la valeur sans limite attribuée par Jésus à sa médiation, à son sang, à son œuvre, on adore (ce qui est ici le seul moyen d’excuser) ces exlraordinaires exigences, cette conliance faite à l’amour du Maître, présenté comme suprême et puriliant par sa propre vertu. Hors de cette perspective, nous n’avons plus qu’interprétations tendancieuses et forcées, promesses démesurées, ambition exorbitante, actes injustiliables. Ce n’est pas seulement l’exégèse des textes, ce sont les vraisemblances psychologiques qui nous inclinent dans le sens indiqué. La supériorité dans l'équilibre, la santé morale et intellectuelle manifestée sur les plus hautes cimes, la limpidité d’une àme très pure unie à la conscience de la plus extraordinaire mission, tous ces traits concourent à écarter l’hypothèse de prétentions hyperboliques et sacrilèges, maintenues jusqu'à la mort inclusivement.

g03. — D’autre part, Jésus de Nazareth fut un hommede chair etd’os, un roseau pensant, s’inclinant, comme nous tous, sous les dures rafales qui l’assaillirent. Il pleura, il eut faim, il manifesta jusqu’aux larmes et jusqu’au sang ses répugnances et ses affections. Il fut homme de son temps, de son pays, de sa race. Il eut une mère, des amis, des adversaires ; il fut chéri jusqu'à l’adoration et haï jusqu'à la folie. Sous le lourd soleil de la Samarie, il se laissa tomber un jour » épuisé, tel qu’il était », contre le bord du puits de Jacob. Aux avances d’Hérode Antipas, curieux de le voir faire ses merveilles à découvert, et tenant le condamné à sa merci, Jésus ne répondit rien. A d’autres il parla, selon les vues de sa prudence ou de sa bonté. Ce n’est pas là un ange sous forme humaine, un fantôme, un semblant d’homme.

804. — Et c’est aussi ce qu’affirme le dogme chrétien, contre les chimères de tous les temps. Il ne craint pas d’appuyer, d’affirmer, de tirer les conséquences : Jésus possède une nature humaine véritable, non apparente seulement ; un corps véritable, formé de la pure substance de sa mère, un corps passible, un cœur sensible, une àme raisonnable. Né de la race d’Adam, il nous est « consubstanliel » ; il n’est pas un dieu consentant à une expérience éphémère d’humanité, à un avatar de trente années. Il eut des inGrmités humaines, une volonté humaine, des passions humaines. Chacun sait que je pourrais mettre, sous chacun de ces mots, des références aux définitions conciliaires et aux écrits des Pères.

SOS. — A traversées éléments si divers et en apparence incompatibles, le divin et l’humain, resplendit dans l’image évangélique du Christ une indéniable unité. Cette dualité n’entraîne pas un dualisme, comme on s’y attendrait. Ils ne sont pas deux ; c’est un seul moi qui pense et parle, contemple et souffre, guérit et pleure, pardonne et se plaint. On arrive parfois à donner l’impression, ou l’illusion d’une personne unique avec deux portraits adroitement superposés ; mais à la regarder de près, l’image se dédouble, la suture apparaît. Nulle part dans ce que nous savons de Jésus on ne trouvera le joint par où s’introduirait la lame aiguë qui ferait, dans cette activité soutenue, deux parts. Nulle part on ne peut dire : ici s’arrête, avec la puissance d’un pur homme, la vraisemblance, la suite, l’impression de vie réelle donnée par cette vie. L’essayez-vous, vous ne rame nez pas cette sublime physionomie aux proportions humaines, vous lui enlevez tout relief, toute vraisemblance ; vous en faites une entité vague, inconsistante, impossible…

SOS. — Mais a priori cette union, en une seule personne, de deux principes d'être et d’action si différents, n’est-elle pas à rejeter ? — Ici, nous avouons le mystère, mais en observant qu’il est là où nous devions l’altendre et, pour ainsi dire, qu’il est bien placé. C’est un fait aussi que des activités forldiverscs se subordonnent, se hiérarchisent dans la plus stricte unité que nous puissions expérimenter du dedans — celle de notre moi. Végéter, penser ; dépendre de conditions matérielles au sens le plus étroit du mot, et s’en libérer par la conception de l’universel ou l’aspiration au Bien désinléressé, ne sonl-ce pas là des discordances singulières et, à première vue, des qualités incompatibles ? Je suis pourtant tel, et je pousse comme je pense, je suis chair et je suis esprit. Cette comparaison, qui n’est qu’une comparaison, nous aide [lourtant à concevoir l’unité, dans la personne unique du Christ, de deux « natures », de deux principes distincts d’action. Les formules du concile de Chalcédoine et des synodes antérieurs ou ultérieurs, ne doivent pas faire illusion. Il est loisible aux théologiens de s’emparer de ces termes consacrés, d’en établir le sens précis, d’y chercher des suggestions ou des arguments pour telle théorie préférée. Mais ces recherches et ces hypothèses ne sauraient faire perdre de vue le but des Pères et leur façon constante de procéder. Qu’on ne parle donc pas ici d’intrusion philosophique, d’incorporation au dogme d’opinions humaines, d’une <i christologie, née sous l’influence d’idées philosophiques grecques, qu’il nous est devenu impossible de partager' ».

207. — Il est très notable, au contraire, de voir les l'ères s’appliquer à garder yixw d’alliage, par des énonciations coupant court à loutc équivoque. la vérité révélée, l’objet de foi. Leur unique souci est de repousser les concepts inexacts, les formules qui mettraient en péril une parcelle de ce que l’Eglise a toujours cru, de cette tradition non écrite, ou suggérée plutôt que précisée dans les Ecritures, mais vivante au cœur des fidèles, inspiratrice de la dévotion publique, postulat tacite de la liturgie cl du culte. De là vient que le même terme, le même adage, dans l’espace d’un siècle, passe par des fortunes diverses : accepté, suspect, enfin triomphant, selon que l’explication qu’on en donne se conforme ou non à la réalité supérieure, à la « chose du dogme « qu’il s’agit de définir. C’est ainsi que vers la fin du ii= siècle le dogme de l’unité divine avait trouvé une formule énergique dans la Monarchie appliquée au gouvernement divin. Mais en un temps où l'étude des doctrines trinitaires donnaient lieu à tant de controverses et d’erreurs, l’expression était dangereuse, surtout par ce qu’elle ne disait pas. A l’aube du III' siècle, Tertullien la dénonce comme le mot de ralliement de tous ceux qui, sous couleur de défendre l’unité divine, détruisaient le vrai concept de Trinité. En dépit de cette usurpation, qui fit donner aux hérétiques antitrinitaires de ce temps le nom commun de « nionarchiens », la formule anibiguo et suspecte fut reprise par le pape Denvs (259-268) et entra définitivement dans l’orthodoxie ecclésiastique par

1. Fr. Loois, What is the Tnilh aboul Jésus Chrisl, p. 185. Toute la seconde partie de cotte leçon ', p. 185201, est consacrée à élnhlir telle thèse,.l’ai Irailé cette question des formules dogniiiliques bien avant que l’elfort moderniste lendit à ohscuicir et à pervertir la notion de dogme : L’eîasiicité des formules de foi : ses causes ei ses limites, Etudes, 5-20 août 1898, t. LXXVI, p. S’il sqq., 178 sqq.