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FRERES DU SEIGNEUR

de la mère de Dieu s’était expressément formulée dans l’épithéte de ἀειπάρθενος seniper virgo. Ce terme figurait déjà dans le Symbole des Apôtres, tel qu’on le proposait en Orient, à ceux qui demandaient le baptême. Denz.10, 13.

De tous les auteurs ecclésiastiques des quatre premiers siècles, Helvidius n’en pouvait citer que deux en faveur de son sentiment : Tertullien et Victorin de Pettau († vers 303). Saint Jérôme lui abandonne Tertullien comme un hérétique, dont l’autorité ne vaut pas plus sur ce point que sur beaucoup d’autres. Quant à Victorin, « il a parlé, comme les évangélistes, des frères du Seigneur, et non pas des enfants de Marie » (17). En revanche, l’apologiste de la perpétuelle virginité de Marie aurait pu se réclamer du témoignage formel d’Origène et de saint Epiphane. Le premier avait déjà traité d’hérétiques ceux qui, de son temps, ne professaient pas, sur ce point, le sentiment commun des fidèles ; l’autre parle de témérité, de blasphème, de démence jusque là inouïe, de nouveauté intolérable. Saint Ambroise ne tardera pas à taxer de sacrilège l’entreprise de Bonose pour accréditer les idées d’Helvidius.

b) Mais c’est sur le terrain des textes de l’Evangile que Jérôme déploie, contre son adversaire, toutes les richesses de son érudition et la finesse de son goût.

Il est écrit dans saint Matthieu (i, 18) : Cum esset desponsata mater ejus Maria Joseph, priusquam convenirent, intenta est in utero habens de Spiritu sancto. Qu’est-ce à dire ? demandait Helvidius. Marie n’est pas simplement confiée à la garde de Joseph, elle est bel et bien son épouse ; et l’évangéliste n’eût pas dit priusquam comenirent, si l’union n’avait pas été consommée dans la suite. En parlant de quelqu’un qui ne doit pas souper, on ne dira jamais que tel événement s’est passé avant son souper. — Du reste, le même évangéliste s’exprime plus clairement encore quelques versets plus bas, quand il ajoute : Et non cognoscebat eam, donec peperit filium suum (i, 25). Ce qui se trouve renforcé par saint Luc, quand il écrit (ii, 7) : Et peperit filium suum primogenitum. De pareils textes, disait Helvidius, lèvent toute ambiguïté, non seulement à cause de l’acception définie du terme cognoscebat, qui s’entend ici de l’acte conjugal ; mais aussi parce qu’il ne saurait être question de « premier-né » que dans une famille qui compte au moins deux enfants.

Saint Jérôme commence par remontrer à Helvidius qu’il vient d’entasser autant de sophismes que de mots, à moins qu’il ne préfère avouer avoir tout confondu. La personne « recommandée » n’est pas « fiancée », la fiancée n’est pas « épouse » (bien que l’Ecriture lui donne le nom d’uxor) : voilà qui est incontestable ; mais il n’est pas moins certain que l’épouse ne devient pas telle uniquement par la consommation du mariage (4). Et saint Ambroise ajoutera qu’un contrat, en bonne et due forme, suffit à faire d’un couple mari et femme. A la difficulté tirée des paroles mêmes de S. Matthieu, i, 18, 25 (d’après la leçon qu’il lisait) : priusquam convenirent, donec peperit, saint Jérôme répond en citant plus d’un endroit des Ecritures où priusquam et donec ne supposent pas la réalisation ultérieure de la chose qu’on dit n’être pas encore arrivée à un moment donne. I Cor., xv, 26 ; Ps., cxxii, 2 ; Gen., xxxv, 4 (d’après les LXX) ; Deut., xxxiv, 6. Puis, il en appelle, pour préciser le sens de ces locutions, au langage courant ; et c’est ici que le polémiste s’est permis une application que des critiques délicats ont trouvée de mauvais goût. « Si je disais : Helvidius fut surpris par la mort avant de faire pénitence, s’ensuivrait-il qu’il ait fait pénitence après le trépas ? » (4.) Ce n’était là qu’une boutade, à l’adresse d’un adversaire qui s’était lui-même servi d’exemples guère plus concluants. Car enfin, dire de quelqu’un qu’on le prévint que son souper était empoisonné avant qu’il se mît à table, ce n’est pas affirmer pour autant que, ce soir-là, il ait soupé. Les exemples tirés de l’Ecriture étaient meilleurs, notamment celui du Deutéronome, xxxiv, 6 : Personne ne connut le tombeau de Moïse jusqu’au jour présent. Cependant, qui oserait conclure de ce texte que le tombeau de Moïse a été trouvé par la suite ; ou même que, dans la pensée de l’écrivain, on dût le trouver jamais, malgré les recherches des Juifs ?

On a dit que les exemples choisis pour neutraliser l’impression fâcheuse produite par le texte de saint Matthieu, 1, 25, n’étaient pas tout à fait ad rem. Il est exact que dans les passages ou les circonstances mêmes indiquent assez que le cas ne comporte pas de changement ultérieur, donec n’implique aucune idée de changement. Mais il en va autrement quand les circonstances invitent au contraire à attendre un changement, passé le terme marqué par donec. Si dans le second livre des Rois, vi, 23, on lisait que « Michol, la fille de Saül, n’eut pas d’enfant jusqu’à ce qu’elle eût quitté David pour devenir la femme de Phaltiel » (au lieu de usque in dieni morlis suae, comme le texte porte en réalité) le lecteur en conclurait, assez naturellement, qu’après avoir quitté David, Michol est devenue mère, parce que la maternité est tout à la fois le but et la conséquence naturelle du mariage.

« Même sous cette forme, écrit M. C. Harris, l’objection ne porte pas victorieusement. L’évangéliste n’a pas ici l’intention, même implicite, de comparer ce que furent les relations matrimoniales de Joseph et de Marie, avant la naissance de Jésus, avec ce qu’elles furent après, comme c’est le cas de l’exemple allégué. Il entend seulement affirmer de la façon la plus forte que Joseph n’a été pour rien dans la conception de Jésus. Le commentaire laconique de Bengel se trouve donc être pleinement justifié : Donec, non sequitur : ergo post. La mention subséquente des frères de Jésus ne change en rien les conditions, parce qu’il était bien connu, au moment où les évangélistes écrivaient, quels étaient ces frères ; une méprise n’était pas possible. » 'Dict. of the Bible (Hastings). I, 235.

Du reste, saint Jérôme accorde à Helvidius que le terme cognoscebat se doit entendre ici de l’acte conjugal ; il lui reproche même de s’attardera exclure des sens auxquels personne n’avait jamais songé. L’évangile appelle Jésus le premier-né de Marie. Seulement, observe saint Jérôme, si tout fils unique est un premier-né, tout premier-né n’est pas un fils unique, bien qu’il puisse l’être. Pour être qualifié de premier-né, il suffit d’être sorti le premier du sein maternel, sans qu’il soit besoin d’avoir des cadets. Aussi bien, la loi de Moïse concernant le premier-né (Exod., xxxiv, 19, 20) trouvait son application dès que la mère avait donné le jour à un fils, qu’il dût être fils unique, ou bien suivi de plusieurs autres. Ne dit-on pas couramment qu’une mère est morte, en mettant au monde son premier-né ? (g, 10.)

Helvidius demandait pourquoi Joseph et Marie s’étaient fiancés, s’ils n’avaient pas l’intention d’en venir à la consommation du mariage. — C’est, répond saint Jérôme, que l’honneur de Jésus et de sa mère exigeait que celle-ci fût tenue pour l’épouse légitime de Joseph. Le voile de la loi devait cacher le mystère de Dieu jusqu’au jour où il pût être croyable ; alors seulement il sera révélé. C’est encore que la Vierge-Mère avait besoin d’un protecteur, et l’Enfant d’un nourricier.

c) En dépit de ces explications, il reste que le texte du Nouveau Testament parle, à plusieurs reprises,