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FRÈRES DU SEIGNEUR

des Frères du Seigneur ; et c’est sur ce fait qu’Helvidius insistait davantage.

La verve de saint Jérôme avait ici beau jeu. Si son adversaire était moins ignorant des choses de la Bible, il saurait qu’on y appelle frères, non seulement ceux qui sont nés d’un même père et d’une même mère ; mais aussi de simples parents, surtout des neveux et des cousins. Il lui apprendra donc que cette appellation se justifie par quatre titres différents : la nature, la nationalité, la parenté et l’affection (12-17, 14) IL est certain que dans l’Ancien Testament, le mot aḥ que les LXX traduisent par ἀδελφός, ne convient pas seulement aux frères proprement dits, ni aux demi-frères, Gen., xxxvii, 16 ; on le donne encore aux neveux, Gen. xii, 8, xiv, 14 ; aux cousins germains, 1 Par, SX, 21 : aux cousins plus éloignés ; Levit., x, 4 ; aux parents en général, IV Reg. x, 13, et même à de simples congénères, Gen., xix, 6. Renan, à qui on ne peut pas reprocher d’ignorer l’hébreu, en a donc imposé à son lecteur, quand il écrit : « L’assertion que le mot aḥ (frère) aurait en hébreu un sens plus large qu’en français est tout à fait fausse. La signification du mot aḥ est identiquement la même que celle du mot « frère ». Les emplois métaphoriques ou abusifs, ou erronés, ne prouvent rien contre le sens propre, » Vie de Jésus, 13° édit., p. 25. Depuis quand, en français, donne-t-on couramment le nom de « frères » à des neveux et à des cousins ? C’est pourtant ce qui a lieu dans les textes bibliques. Cette extension de aḥ ne tenait pas à une métaphore, mais à la portée que le mot avait reçue de l’usage. Personne ne confondait les « Frères du Seigneur » avec les Apôtres, bien que Jésus en personne ait donné à ceux-ci le nom de « frères ». Saint Augustin avait raison d’écrire a ce propos : Quomodo loquitur (Scriptura) sic intelligenda est. Habet linguan suam : quicumque hane linguam neseit, turbatur et dicit : Unde fratres Domino ? Nam enim Maria iterum peperit ? Absit… !  » In Joan., tract. x. cap. 2

On aurait pu objecter à saint Jérôme que ce sens étendu de l’araméen aḥ n’est pas soutenu en grec par le mot ἀδελφός ; mais il aurait répondu, avec raison, que les évangélistes ont rendu littéralement le terme araméen, en lui laissant toutes les acceptions qu’il avait couramment dans la langue parlée par les contemporains de Jésus. C’est ce que les Septante avaient déjà fait.

Au surplus, pourquoi les évangélistes n’auraient-ils pas donné le nom de « frères » à des parents de Jésus, qui n’étaient point les enfants de sa mère : eux qui appellent saint Joseph son « père », dans la page même où ils viennent de dire qu’il ne fut pour rien dans sa conception ?

d) D’où il suit que les « Frères du Seigneur » peuvent trés bien n’avoir pas êté ses « utérins », mais seulement des parents plus ou moins rapprochés. Reste à savoir si nous avons des raisons positives d’affirmer qu’ils n’étaient pas en effet des enfants de Marie.

Les anciens, notamment saint Jérôme, ont ramené à quatre chefs principaux les motifs sur lesquels se fonde la croyance traditionnelle en la perpétuelle virginité de la sainte Vierge.

1° Cette virginité est implicitement affirmée dans le récit de l’Annonciation. Marie demande à l’ange : Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? Ce qui ne veut pas dire simplement : Jusqu’ici je n’ai point connu d’homme, car cette circonstance ne s’opposait pas suffisamment, toute seule, à ce que Marie devint Mère : d’autant plus qu’elle était déjà fiancée, et que ses fiançailles mêmes lui permettaient l’espoir de la maternité. La seule explication qui rende pleinement compte de cette parole, consiste à dire que Marie avait fait le propos de garder la virginité, même dans le mariage, si jamais les circonstances l’engageaient dans cet état. C’est le sentiment de la plupart des anciens, qui ont interprété le récit de l’Annonciation d’après saint Luc. Ils ont été suivis par les Scolastiques, comme aussi par les exégètes catholiques modernes, auxquels se rallient nombre de protestants.

2° Ensuite, si Marie avait eu d’autres enfants pourquoi le Christ mourant aurait-il confié sa mère à un étranger, « au disciple qu’il aimait » ? Cette considération, que Lightfoot croit décisive contre l’opinion d’Helvidius, M. Henzog l’envisage bien légèrement, quand il écrit : « L’évangile de saint Jean leur (aux anciens) fournit un texte précieux. On y lisait que, du haut de la croix, le Sauveur avait dit au disciple bien-aimé, en lui montrant Marie : Voilà votre mère ! et qu’il avait ajouté, en montrant le disciple à sa mère : Voilà votre fils ! On creusa ces paroles et on trouva un sens mystérieux caché sous leur écorce, » (Rev. d’hist. et de littér. relig.. 1907, p. 326.) Mais non, on n’eut ici qu’à se tenir à la lettre. Le sens mystérieux et bien profondément caché sous l’écorce serait celui que propose M. Loisy, quand il prétend que la mère de Jésus n’est, dans cette scène du quatrième évangile, que le personnage allégorique d’Israël convent, la communauté judéo-chrétienne ; tandis que le disciple serait le type du croyant parfait, du chrétien johannique, de l’église helléno-chrétienne (Le Quatrième Evangile, p. 879).

Je ne prétends pas que le legs fait par Jésus de sa mère à un disciple soit, à lui seul, une preuve péremptoire que Marie n’avait pas d’autre fils ; mais c’est une circonstance, dont on doit tenir compte pour la solution du problème des Frères du Seigneur.

3° Pourquoi les contemporains de Jésus, ses propres concitoyens de Nazareth, auraient-ils mis tant d’emphase à l’appeler le fils de Marie, s’il n’était pas fils unique ? Si les Frères du Seigneur sont des enfants de sa mère, au même titre que lui, comment se fait-il que nulle part, dans les Evangiles, Marie ne soit appelée leur mère ? (15.)

Il est vrai que le nom de la mère du Sauveur se trouve deux fois associé à celui de ses frères (Mat. xii, 47 ; Jean, i, 12), mais la chose se comprend sans peine. Après la mort de saint Joseph, surtout pendant la vie publique de Jésus, Marie aura vraisemblablement habité sous le même toit que ses plus proches parents ; peut-être même que cette vie en commun date de plus loin. Ç'a été le sentiment de plusieurs d’entre les anciens, que les Frères du Seigneur avaient été introduits dans le foyer de Marie, à raison de leur parenté avec son époux, quel que soit du reste le degré de cette parenté.

Comment expliquer, en dehors du fait de la perpétuelle virginité de Marie, qu’on lui ait donné invariablement le nom de Vierge ? Cette appellation remonte, avons-nous dit, à la plus haute antiquité chrétienne. Si Marie a eu sept enfants, dont un au moins évêque de Jérusalem (sans parler de plusieurs autres, qui ont marqué au premier rang dans cette même église), est-il croyable qu’on ait perdu si vite de vue un fait aussi notoire, pour ne plus voir en elle que la mère virginale de Jésus ?

Renan a si bien senti la difficulté de la position qu’il avait prise tout d’abord, dans la Vie de Jésus (13° édit. p. 25-27), qu’il s’est décidé, dix ans plus tard, à l’abandonner. « Jésus, écrit-il, eut de vrais frères, de vraies sœurs. Seulement il est possible que ces frères et ces sœurs ne fussent que des demi-frères, des demi-sœurs. Ces frères et ces sœurs étaient-ils aussi fils ou filles de Marie ? Cela n’est pas probable.