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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/879

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JUIFS ET CHRÉTIENS

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nous éclairer sur la portée île la « servitude » juive. Le serons n’y est pas le « serf » du moyen âge, moins encore 1’  « esclave n. ("est le descendant d’Agar ou d’Esaii, primé par son frère plus jeune. Kn rejetant, en cruciliant le Clirist, il s’est réduit à une infériorité perpétuelle. Il ne doit pas dominer sur les chrétiens, enfants de Sara, nés de Jacol). Ennemi du Christ, il ne doit pas commander aux membres du Christel les fouler aux pieds. Il ne doit pas aclicter, par conséquent, ou garder des esclaves qui sont chrétiens ou qui le deviennent. Il est supporté chez les chrétiens parmiséricorde et non admis par droit. 69. A partir du xui-^ siècle. — Cependant, de servi, au sens large du mot que nous venons de préciser, les.luifs étaient devenus ser^-i du roi ou du seigneur. Une théorie fameuse en Allemagne, et qui est consignée dans le Schnahenspipgel, assigna, dès le xii" siècle, des origines romaines à ce servage ; le roi Titus aurait donné au trésor impérial les prisonniers juifs, et ils seraient restés la propriété, les serfs de l’empire. C’est là une de ces fantaisies dont riiistoire est depuis longtemps désencombrée. Une explication plausible est celle d’O. Stobbk, Die Juden in Dcutschlaiid ^vælirend des Mitteliilters in politischer, snciiili’r und recltlliclier hezieliung, Braunschweig, iSiJC. Réduits aux abois par des bandes d’aventuriers recrutés, sur les bords du Rhin, pour la première croisade, les Juifs supplièrent l’empereur de les défendre. Il y consentit, moyennant une redevance. Les Juifs, ses protégés, furent appelés servi camerae, Kammerkiiechte, les serfs de la chambre impériale. Quiconque voulut leur imposer des taxes ou exercer sur eux tout autre droit de souveraineté, ne le put qu’eu vertu d’une concession impériale. Au cours des temps, le droit de « tenir des Juifs » fut accordé tantôt à des villes, tantôt à des seigneurs. La notion du servage caméral se transforma, sans qu’il soit possible de préciser les phases ni les raisons déterminantes de son évolution. « La dépendance des Juifs à l’égard de l’empereur se fit plus étroite ; leur faculté d’aller et de venir librement fut progressivement restreinte, et il advint que la confiscation générale punit l’émigration non autorisée. Le fisc, cependant, aggravait ses exigences à leur égard, et la propriété de leurs biens finit par être mise en question. Auxiii* siècle, cette évolution était arrivée à son terme. Non seulement en Allemagne, mais encore ailleurs, les Juifs étaient hors cadre, avec une liberté pei-sonnclle réduite, un droit de propriété précaire et des obligations onéreuses envers le fisc », S. Drploige, Saint Thomas et la question juive, 2* édit., Paris, 1902. p. 34. Etre servi des princes ce fut communément être taillables à merci dans l’intérêt général.

Ce n’est pas au titre de « serfs « que le IV* concile de Latran, <lans son décret pour le recouvrement de la Terre sainte, Eioknr III, dans sa lettre du l’f décembre ii^â au roi Louis VU de France, P. L., t. CLXXX.col. ioG5, cf. saint iiiiy aki^, Epist. oacLiii, et PiBURE LB VÉNKnABLK, Epist., IV, XXXVI, dans la lettre où il presse Louis VII de faire rendre gorge aux Juifs, deman<lent que les Juifs concourent, par leur argent, à la croisade ; l’idée conmuine à ces documents, c’est qu’une entreprise à laiiuelle tout le monde contribue doit bénéficier de la contribution des Juifs. Eu revanche, au temps de saint Thomas d’.([uin, la théorie de la « servitude n civile des Juifs s’est implantée dans le droit juiblic. Saint Tliomas accepte le principe, mais en modère l’application. La « servitude n civile des Juifs ne doit avoir que des conséquences d’ordre civil, et non au détriment du droit naturel ou divin. Cf. II » II" », q. 10, 10, 12, 111 », q.68, 10, ad 2"^, et Benoît XIV, bulle Probe

te meminisse (15 décembre 1701), 15. Jusqu’où peuvent aller ces conséquences d’ordre civil ? Saint Thomas eut l’occasion de s’en expliquer. La duchesse Alix de Urabant le consulta au sujet de taxes dont il était question de frapper les Juifs. Dans son /)e reginiine Judæorum ad ducissam lirabantiae, il répondit : d’après le droit public, les Juifs étant des servi perpétuels, les princes qui ont des Juifs dans leurs terres peuvent prendre leurs biens, sous deu.x réserves. D’abord, il ne faut pas du tout leur enlever necessaria vitæ suhsidia, par quoi le saint entendait non pas le juste nécessaire pour ne [las mourir de faim, mais tout ce qui est indispensable au confort de l’individu et de sa famille, tout ce qui n’est pas le superflu. Cf. Il » 11 » ^, , |. 3a, G ; S. Depi.oiok, up. cit., p. 37-88. Ensuite, il faut éviter de descendre aux extrêmes, d’irriter les.luifs en exigeant d’eux plus que par le passé. L’expression de saint Thomas. Opéra ontnia, Parme, 1865, t. XVI, p. 292, est digne de remarque : l.icet, ut jnra dicuiil, Juduei nierilo’culpæ siiæ sint vel essenl perpeluæ servituti nddicti, et sic eoruni res terrarnm doinini possint accipcre tanquani suas. Le jura diciinl vise évidemment hs textes du droit romain et du droit canon. Déplaçant la perspective historique, il leur attribue non leur sens réel, mais celui qui s’harmonise avec le droit public de son temps.

Pour la même raison, l’Eglise a décrété que les Juifs ne deviendraient pas des esclaves chrétiens, dit saint Thomas, II » U^’, ([. 10, 10, traitant des infidèles soumis temporellement à l’Eglise et à ses membres, quia, cum ipsi Judæi sint servi Ecclesiae potest disponere de rébus eurum, sicut etiam principes sæcuhtres inultas leges ediderunt circa suos subditos in favorein libertutis. Les Juifs et tous les infidèles vivant dans la sujétion temporelle de l’Eglise et des chrétiens — les autres ne peuvent acquérir dominium seu prælaturam /idcliuni, mais l’Eglise tolère qu’ils conservent ce droit quand il est préexistant au baptême, qui a transformé des inlidèles en fidèles — sont servi de l’Eglise, et celle-ci peut disposer de leurs biens, non pas assurément de façon arbitraire, mais in favorem liberlatis, en faveur de la liberté chrétienne quand elle décide que tout esclave embrassant le christianisme est libre, et en faveur de la liberté humaine du même coup, car c’a été là un des moyens qui ont détruit peu à peu l’esclavage.

Dans tout cela, cette maxime, « Les Juifs sont servi perpétuels », ne repose done pas exclusivement sur les principes chrétiens, mais elle est fondée encoreet surtout « en partie sur les idées propres au moyen âge féodal concernant l’organisation sociale, et en partie sur le droit positif institué [>ar les empereurs et adopté dans la chrétienté entière », H. Gaynvl’D, L’antisémitisme de saint Thomas d’Aquin, 3° édit., Paris, 18y6, p. 2C5.

Avec la disparition progressive du droit public du moyen âge, cette notion de la a servitiule » juive s’évanouit. Seule subsista la « servitude entendue au sens primitif du mot. Même en plein moyen âge, c’est d’elle qu’il est question dans la jibipart des textes ecclésiastiques. Quand il y est dit que les Juifs sont les servi des chrétiens, ce langage signifie que les Juifs sont tolérés par les chrétiens, non admis en vertu d’un droit, qu’ils doivent éviter de combattre le christianisme et que, par consé(iuent, ils ne doivent pas dominer sur les chrétiens, car le pouvoirqu’ils auraient ils le tourneraient, conformément à leurs habitudes invétérées, contre la foi chrétienne. Les chrétiens sont fils de Sara, les Juifs sont (ils de la servante. Dans le même sens, mais en retournant l’expression, les Juifs se disaient libres et disaient