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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/16

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LOI ECCLÉSIASTIQUE

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la vénération publique. J’ai fait allusion déjà à la clôture des moniales ; il a fallu des avalanches de bulles et de décrets (Cf. Ferbakis, Piumpta Bibliotlieca, v’Moniatis, art. 3, 4 ; Uollwkck, Die hirchlichen Strafyeselze, § il, Ç), 150, p. t221 sqq.), pour en imposer la rigueur ; iiiais le but est atteint. Chacun sait avec quelle tidélitc les religieuses des Ordres cloîtrés observent ce point de discipline ; bien qu’elles n’aient plus en France de vœux solennels, et que par suite elles échappent à la clôture papale sanctionnée par l’excommunication, elles n’en sont pas moins exactes à tenir fermées les portes de leurs monastères. Nos Carmélites, pour ne parler que d’elles, restent jusqu’à la mort recluses derrière leurs grilles, à moins que la persécution ne les jette sur les chemins de l’exil.

Artisans de réformes efficaces, les textes canoniques sont aussi des témoins qui révèlent le travail de la Grâce dans les âmes. Au dix-neuvième siècle, la vie religieuse se développa magnifiquement ; des Instituts nouveaux se fondèrent de toutes parts, beaucoup sollicitèrent l’approbation du Saint-Siège, et soumirentleurs règles au contrôle de la Chaire apostolique. Si fréquents furent ces recours, qu’il devint opportun d’en déterminer la procédure et les conditions ; la Sacrée Congrégation des évêques et réguliers publia en 1901 la méthode qu’elle avait coutume de suivre, en y ajoutant un schéma d’après lequel devraient être rédigées les Constitutions dont on désirerait la confirmation. Rien ne montre mieux que ces Normæ célèbres, la vitalité de l’esprit chrétien : voilà donc un document juridique rendu nécessaire par une floraison d’Instituts nouveaux, si riche, si spontanée, si variée, qu’il faut la régulariser par voie administrative. On réduit l’ascétisme en articles de code, qui expliquent les moyens de réaliser sans illusion le don complet de soi au service de Dieu et du prochain ; sous ces formules brèves et claires, c’est la sainteté même de l’Eglise qui resplendit.

3° — C’est aussi sa fécondité, et nous constatons ici un autre signe distinctif de la société que fonda Notre-Seigneur Jésus-Christ. D’après l’enseignement du Concile du Vatican, elle verse sur le monde d’iné-IJuisables bienfaits ; c’est un des traits qui révèlent son origine divine. Or, beaucoup de ces bienfaits ont passé par le canal juridique ; le droit canon fut un agent de civilisation et de progrès. Les faits signalés jusqu’ici en fourniraient à eux seuls une preuve suffisante. Ils mettent en évidence l’inlluence moralisatrice de la législation ecclésiastique ; peut-on rendre un meilleur service aux nations que de diminuer les crimes et de faire fleurir la vertu sur leur sol ? Mais je suis loin d’avoir tout dit, et il est facile d’allonger la liste désavantages dont le monde est redevable à la discipline catholique.

Au moyen âge, les tribunaux des évêques ou des archidiacres sont mieux tenus que ceux des barons laïques ; leur procédure est plus raisonnable, leurs sentences sont plus modérées ; aussi les fidèles s’empressenl-ils d’y porter leurs litiges (Cf. Esmein, Histuire du droit français, 5 » éd., p. 277.). Les juges d’Eglise deviennent les grands diseurs de droit de la chrétienté, et ils font pénétrer dans les rapports sociaux plus de justice et de charité. Au milieu de populations à demi barbares, l’Eglise, par ses institutions et ses lois, concourt à adoucir les mœurs. Elle prescrit la trêve de Dieu (Cf. X. i, 34), punit les tournois meurtriers (CL X. v, 13) et le duel judiciaire (Cf. X. V, 14, e 2 ; V, 35, c. I, 2.), réprouve les ordalies (Cf. C. 11, qu. 5, c. 7 ; X. v, 35, c. 3.), et finit par faire triompher des modes de preuve plus humains, même devant les cours séculières (Cf. Esmein, loe. cit., p. 4 16, 779).

Cette influence salutaire du droit canon sur le milieu ambiant n’appartient pas seulement à l’histoire du passé ; c’est encore un fait actuel. Si le divorce, toutinscrit qu’il est dans les lois, reste cejiendant soumis à des conditions assez restrictives, si la majorité des honnêtes gens continue à le réprouver, c’est à l’Eglise qu’on le doit : qu’elle fasse fléchir, par impossible, la rigueur de ses principes, qu’elle atténue la sévérité de ses prohibitions, et on verrait bientôt la conscience populaire oublier de plus en plus l’inviolabilité du lien conjugal ; le Parlement abaisserait les dernières barrières qui contiennent encore l’inconstance des époux ; le nombre des divorces, déjà si inquiétant, grandirait rapidement, et nous reviendrions à la licence païenne. Même remarque à propos du duel. Magistrats et jurés ne sont que trop portés, sur ce chapitre, à une indulgence excessive ; l’Eglise, au contraire, maintient fermement ses sanctions (Cf. Hollweck, loc. cit., § 165, p. 254 sçy. ; RivKT, Dictionnaire apulof^étique, v" Duel ; Wbrnz, loc. cit., t. VI, n. 3^5 sqq., p. 3^5 sqq.). Son attitude n’est pas sans faire impression sur l’esprit public ; on s’en apercevrait, le jour où, d’aventure, elle y renoncerait : le peuple aurait vite l’ait de perdre le peu qui lui reste de sens moral en cette matière. L’Eglise est donc vraiment, selon l’oracle d’Isaïe (xi, 12) que lui applique le concile du Vatican (Sess. iii, cap. 3, Denzinger-Rannwart, n. i^gi), « comme un étendard levé sur les nations », manifestant au monde l’ordre et la paix du Royaume de Dieu.

Nos anciens auteurs vantaient « l’air doux et salubre » de la coutume de Paris, « respiré par Messieurs du Parlement. » (BuoDE.iU, Commentaire sur la coutume de Paris.) L’atmosphère où vive : it les canonistes est encore plus tempérée. Mais, pour s’en rendre compte, il ne suffit pas de passer rapidement à ti-avers l’un et l’autre milieu ; il faut les fréquenter tous les deux avec quelque assiduité. On se sent alors dominé par une impression qui résulte de multiples détails : isolé, chacun d’eux passerait peut-être inaperçu ; quelques-uns même feraient plutôt croire à une certaine rudesse du for ecclésiastique ; mais l’ensemble suggère cette conviction que le droit canon porte en soi un élément de douceur qui ne se retrouve pas au même degré dans les droits laïques. Le fait est d’une constatation délicate, et l’aflirmation doit en être prudemment nuancée ; il est cependant réel. Deux traits, sans plus, en ébaucheront un commencement de preuve : le caractère de l’autorité et celui de la législation pénale. Le commandement, dans l’Eglise, garde toujours quelque chose de paternel. Sans doute, les bureaux du Saint-Siège ou la curie d’un vaste diocèse prennent forcément les procédés de toute grande administration ; et cependant, leur nianièred’agir, leurs/v’e, comme on dit, n’a pas cette raideur qui caractérise les interventions de nos chambres ou de nos ministères. La coutume est là, pour diversifier, selon les besoins locaux, l’application de la loi ; un régime très souple et très développé de dispenses achève de l’adapter aux situations individuelles. Quant au droit (lénal ecclésiastique, il a son cachet spécial de modération et d’indulgi^nce. Ce n’est pas, je le sais, la réputation qu’on lui fait ; mais ceux qui lui reprochent une sévérité excessive montrent par là ou qu’ils le connaissent mal, ou qu’ils ignorent les systèmes de répression en usage ailleurs. Avant d’en venir aux châtiments proprement dits, l’évêque a le devoir d’essayer d’abord de moyens plus bénins : monition paternelle, monition canonique… Il est tenu de se comporter en père, <iui cherche à corriger ses fils coupables, mais qui recule autant que possible devant les exécutions rigoureuses. C’est le Concile de Trente qui le lui ordonne