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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/21

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LOUIS XVI

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L’inslruction du jeune prince fut sérieuse et solide ; son père l’avait voulu et les instructions du l)cre furent lidèlerænt suivies. Le Dauphin possédait à fond la littérature latine, parlait plusieurs langues, savait d’une manière rare l’histoire et la géographie, au point de rédiger lui-ra’.Mne les instructions données à La Pérouse, lorsqu’il entreprit son voyage autfuir du monde. Sa science religieuse n’était pas moins profonde, son attachement au catholicisme inébranlable, sa piété sérieuse, sa purelé de mœurs rare dans un siècle comme ie xviii’et à une cour comme celle de Louis XV. Malheureusement, le caraclère n’était pas à la hauteur de la vertu. Nature molle et engourdie, volonté llottante et irrésolue, timide, renfermé en lui-mome, un peu sauvage, le Dauphin avait beaucoup de qualités sérieuses, mais peu de qualités aimables ou fortes. Il avait le goût de la justice, la passion du bien, l’ardent amour du peuple ; mais il n’avait ni la netteté d’esprit qui dicte les résolutions à prendre, ni la fermeté qui les impose. Il possédaitla plupart des vertus d’un saint ; il n’en possédait guère d’un roi. La charmante princesse qu’il épousa le 16 mai 1770, la fille de la grande Marie-Thérèse, Marie-Antoinelte, n’avait pu lui communiquer ni sa grâce ni son énergie. Tenu à l’écart jjar l’ombrageuse autorité de son grand-iJcre, délaissé par les courtisans, il avait pu voir les abus et former le projet de les corriger ; mais il manquait de l’expérience de la vie, qui lui eût fait discerner le remède, et de la fermeté qui lui eût permis de l’appliquer. Et lorsque, le 10 mai 1774, la mort de Louis XV, emporté par la petite vérole, eut fait de lui, à vingt ans, un roi de France, il ne put s’empêcher de s’écrier, en tombant à genoux avec sa femme : « Mon Dieu I gardez-nous, protégez-nous I Nous régnons trop jeunes I »

C’était le cri du coeur et le cri de la raison. L’avenir était sombre, et les dilTicultés étaient grandes. Néanmoins un enthousiasme indescriptible accueillit l’avènement du jeune souverain. On gravait sur le socle de la statue de Henri IV : Resurrexil ! « Tout est en extase, tout est fou de vous, écrivait Marie-Thérèse à sa lille, vous faites revivre une nation qui était aux abois. « De premières satisfactions étaient données à l’opinion puljlique : Mme du Barry était exilée à Pont-aux-Dames et l’on prévoyait le renvoi prochain des ministres du feu roi, qui étaient honnis du pays. Mais qui les remplacerait ? Louis XVI hésitait ; l’influence de sa tante, Mme Adélaïde, lui lit prendre Maurepas et la décision ne fut pas heureuse. Pour guider un jeune prince timide et sans expérience, il eût fallu un autre mentor que ce vieillard insouciant et frivole.

Les autres choix furent meilleurs. Vergennes eut les affaires étrangères ; un vieil ami du dauphin, le comte du Muy, la guerre ; Malesherbcs, la Maison du roi ; Turgot, la marine et bientôt les finances. C’était ce dernier nom qui symbolisait l’esprit du nouveau régime. Intendant du Limousin, Turgot avait acquis, dans cette charge, une réputation d’honnête homme et d’administrateur modèle ; il semblait indiqué pour réaliser les réformes que rêvait le jeune roi.

Malheureusement il manquait d’habileté et de souplesse ; c’était ce qu’on nomme aujourd’hui un intransigeant. Il allait droit au but sans s’inquiéter des obstacles et des réclamations, et ses réformes, même les plus légitimes, soulevaient une opposition formidable des habitudes qu’elles dérangeaient et surtout des intérêts qu’elles lésaient : l’édit sur la liberté de circulation des grains provoquait une véritable révolte ; l’abolition des corvées, si souhaitée pourtant, la suppression des jurandes, moins heureuse — car là il eûtmieuxTalu améliorer que détruire

— rencontraient une vive résistance dans le Parlement, rétabli par le jeune roi à son avènement et qui se montra l’adversaire acharné de tout changement. L’hostilité devint telle que Louis XVI dut se séparer de son ministre ; il ne le lit pas sans un profond serrement de cœur : « Il n’y avait que M.’î'urgot et moi ipii aimions le peuple », répétait-il tristement.

Le I 1 mai 17^5, il s’était fait sacrer à Reims. C’était la vieille tradition monarchique, et la cérémonie avait été splendide. Lorsque, au sortir de la cathédrale, le Koi et la Reine s’étaient promenés dans la galerie qui séparait l’église de l’archevêché, les gardes avaient voulu écarter la foule ; le Roi s’y était opposé ; il s’était laissé approcher par tous, avait serré toutes les mains qui se tendaient vers lui, et des larmes de joie et d’amour avaient coulé de tous les yeux, de ceux du monarque et de ceux des sujets.

Mais cet amour ne supprimait pas les didicultcs et la chute de Turgot les aggravait encore. Les linances surtout étaient en mauvais état ; après un inté rim de quelques mois, elles furent conliées à un étranger protestant qui, à ce double titre, ne pouvait avoir le titre de contrôleur général, mais seulement de directeur général. Riche banquier, jouissant dans toute l’Europe d’un crédit bien établi, Necker réussit à remettre l’ordre dans les finances et à remplir le trésor, grâce à des emprunts fructueux.il réalisait en même temps une innovation heureuse, en créant, comme spécimen, des assemblées provinciales dans deux provinces, le Berry et la Haute-Guyenne. C’était un excellent essai de décentralisation, une tentative féconde pour apprendre aux provinces à s’administrer elles-mêmes. Si ces essais avaient été poursuivis et multipliés, qui sait si l’on n’eût j>as pu éviter la réunion des Etats Généraux et faire ainsi l’économie d’une révolution ?

Sous la direction de Vergennes, la politique extérieure était sage, prudente, et la France avait repris une haute situation dans le monde. Dans l’afl’aire de la succession de Bavière, malgré les instances de Marie-Thérèse et de Joseph II, qui harcelaient la Reine, elle était restée neutre et sa médiation avait amené la paix de Teschen. Hors d’Europe, c’était mieux encore. En 1776, le Congrès de Philadelphie proclama l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique, et ses délégués, Franklin en tête, vinrent solliciter l’appui de la France. C’était une belle occasion de déchirer l’humiliant traité de Versailles et de rendre à l’ennemi héréditaire un peu du mal qu’il nous avait fait. Vergennes, par pudeur, attendit quelque temps ; mais il laissa la jeune noblesse française, La Fayette en tête, s’enrôler sous le drapeau américain ; le 6 février 1778, un traité était signé avec les insurgents. Et, tandis que Rochambeau allait avec Washington forcer Lord Cornwallis à capituler dans Yorktown, le pavillon français reparaissait glorieux sur les mers, d’où, depuis vingt ans, il était presque exilé : d’Orvillien, d’Estaing, Bouille, La Motte Picquet, Sulfren surtout, portaient haut la réputation de la marine française, reconstituée par Sartines et Castries. Et la paix de 1788 venait enlin consacrer l’indépendance des Etats-Unis et le relèvement de la France.

A l’intérieur, de graves événements s’étaient passés. La Reine, dont les espérances de maternité avaient été si longtemps retardées, avait eu enfin, le 18 décembre 1778, après des couches dramatiques, une lille, et, le 22 octobre 1781, un garçon. Cette naissance d’un garçon, si désiré, avait comblé de joie le cœur de Louis XVi et de Marie- Antoinette, et, on peut le dire, le oœur de Ja France entière, où le