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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/26

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LOURDES (LE FAIT DE)

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débarrasser ainsi l’adiuinislralion et la police de Lourdes. Après un examen approfondi, ils déclarèrent que sa « sincérité ne paraissait i)as douteuse ».

Cependant, dans les premières années dn vingtième siècle, on a essayé de faire, de cette enfant ingénue, la principale actrice d’une indigne comédie religieuse, jiréparée avec soin dans l’intérêt mal compris de la Foi. Un pamphlétaire a publié une prétendue note de service, adressée par M. Falconnet, procureur général de Pau, au procureur impérial près le tribunal de Lourdes. La lettre aurait été écrite le a8 décembre 185^ ; le procureur général y aurait prévenu son subordonné que « des manifestations afleclant un caractère surnaturel et prenant un aspect miraculeux se préparaient pour la tin de l’année », et lui aurait prescrit de « surveiller exactement les faits ». Ce document, concluait l’auteur de la publication, « prouve sans appel que cette apparition était connue d’avance, attendue, préparée, organisée ».

Eh bien ! non ; ce document ne prouve pas cela. Mais ce qu’il prouve avec certitude c’est que celui qui l’a publié est un faussaire audacieux ou l’organe inconscient d’un faussaire. Le lecteur va le voir.

On a mis le prétendu historien au déli de montrer l’original de la lettre du procureur général, ou d’indiquer du moins où il se trouve. S’il était quelque part, ou s’il avait quelque part laissé des traces, ce serait assuréuient au parquet de Lourdes, puisque c’est au parquet de Lourdes qu’il aurait été envoyé. Or il n’y est pas, et il n’y était pas davantage quand M. CUaigne, depuis député anticlérical de la Gironde, alors procureur de la République à Lourdes, a écrit, sous le nom de G. Mares : Le Pays de Lourdes et ses em’irons. Pour composer son livre et lui donner de l’intérêt, le procureur Chaigne s’est renseigné sur les événements locaux. Or il avait sous la main les.archives du parquet, dont il était le chef ; il les a certainement consultées ; et il n’y a pas trouvé la fameuse « note de service », adressée à l’un de ses prédécesseurs. Car il en aurait parlé s’il l’avait connue, rien ne pouvant mieux donner à son ouvrage un air de nouveauté et un relent de scandale.

Du reste, amis et adversaires ont fouillé ce dossier pendant un demi-siècle ; et voilà un écrivain, qui n’est pas du pays, qui n’y est venu qu’en passant, et qui aurait eu la bonne fortune d’y découvrir, après quarante-sept ans, ce que nul autre n’y avait aperçu avant lui ! C'était le cas, ou jamais, de se munir des références les plus nettes et les plus précises. Or il n’en donne même pas de vagues et d’obscures ! De tels documents sont tout juste comme s’ils n'étaient pas.

Celui-ci est d’ailleurs très mal composé. II use, par exemple, de formules qu’un supérieur hiérarchique n’emploie jamais envers son subordonné ; le style décèle la main coupable qui a tenu la plume.

Ajoutons que cette note décisive, qui aurait sulh à clore le débat, au moment où le débat était le plus vif et le plus obscur, est restée ignorée de tous les contemporains qui ont combattu les événements de la Grotte. Aucun n’y a fait la moindre allusion, non pas même le destinataire, le procureur impérial Dutour ; il l’ignorait donc lui aussi, lui qu’on dit l’avoir reçue !

Enfin le pamphlétaire a commis deux distractions étonnantes, qui sutTisent à le faire juger, lui et son œuvre. Il écrit d’abord : « M. Falconnet, à l’occasion des réceptions du nouvel an, renouvela ses recommandations au procureur impérial de Lourdes. » {Lourdes et ses tenanciers, Paris, igoS, p. 118.)Or, il n’y a pas eu de réceptions du nouvel an, chez M. Falconnet, le i"' janvier 1858. En effet, dans son

numéro du 3 i décembre iSS’j, le Mémorial des Pyrénées, Journal de Pau, publiait l’avis officiel suivant : « M. le procureur général, empêché par des préoccupations de famille, ne pourra pas recevoir le If"" janvier. » Et voilà comment le procureur général a renouvelé ses recommandations au procureur impérial, à l’occasion des réceptions du 1"' janvier ! Le faussaire se fait prendre la main dans le sac. Enûn il publie une autre lettre du procureur général, authentique celle-là ; elle est adressée au ministre. Or, dans cette lettre, le procureiu' général montre qu’il a exactement une opinion contraire à celle qu’on lui a prêtée dans la prétendue note de service, envoyée au parquet de Lourdes. Dans celle-ci, il affirmait que, d’accord avec la voyante, on avait organisé des scènes miraculeuses. Il dit, dans celle-là, exactement l’opposé : « Onn’apas « organisé » un miracle, ici. L’enfant est hallucinée mais loyale. Elle a vu ou cru voir ». S’il avait écrit le contraire un peu auparavant, s’il était parti ensuite pour Paris, afin d’aviser « son ministre, le garde des sceaux » des événements, préparés à Lourdes, comme le dit l’auteur (/tj(/., p. 118), c’eût été de sa part une audace ridicule d’envoyer au ministre sa lettre nouvelle, sans même faire allusion à son opinion passée, ni expliquer comment il en était revenu. Bref toute cette histoire d’un document décisif ; récemment découvert, est évidemment un roman ; mais elle est, en outre, un roman mal conçu, hors du réel, et dont l’invraisemblance saute aux yeux : l’affaire est jugée '.

b) Les visions de Bernadette et l’hallucination. — Il est donc certain que Bernadette a cru vraiment voir et entendre ce qu’elle a dit avoir vu et entendu ; mais ne fut-elle pas elle-même victime d’illusions qu’elle a fait ensuite innocemment partager ? Ses visions n’ont-elles pas été de simples hallucinations ?

Non, assurément, et ilaulTira, pour s’en convaincre, de comparer brièvement entre eux les caractères des unes et ceux des autres ; car les caractères de l’hallucination sont bien connus : les travaux physiologiques publiés depuis cinquante ans les ont mis en pleine lumière. Bornons-nous à quelques points décisifs.

En premier lieu, le phénomène de l’hallucination requiert, pour se produire, un certain nombre de conditions, dont la réunion est indispensable. Chez Bernadette, au contraire, la vision a lieu dans les circonstances les plus diverses : quand la voyante est seule, comme le i février, ou quand elle est entourée par la foule, comme dans la journée du 4 mars où il y eut de quinze à vingt mille spectateurs. Habituellement, elle commence après que Bernadette est restée quelque temps à genoux, en prière. Mais le 1 1 février, elle se déclare brusquement, à l’improviste, pendant que l’enfant se déchausse, et, le 25 mars, l’Apparition est déjà debout, au-dessus de l'églantier, quand Bernadette arrive à la grotte. Bernadette la voit à toutes les heures du jour : vers midi, comme la première fois, un peu avant les vêpres, comme la seconde, de grand matin, comme le plus souvent, vers le soir, comme dans sa dernière extase.

Elle l’a vue, étant elle-même debout sur la rive droite du canal du moulin, ou étant à genoux à l’entrée de la grotte, ou marchant dans la grotte même, ou bien encore — quand l’administration eut placé des barrières — de la rive droite, non plus du canal

1. On trouvera la réfutation qu’on vient de lire développée dans l’ouvrage de celui qui écrit ces lignes : Histoiie critique des événements de Lourdes, Appendice n' 2, p. 4ri-422.