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MODERNISME

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sens et de l’interprétation des Ecritures sacrées ; et qu’en conséquence, il n’est permis à personne d’interpréter la même Ecriture Sainte à l’encontre de ce sens, comme aussi contrairement au consentement unanime des Pères ». [(D.-B., 1788 (163’ ;) ; 786 (668) ; 858 (739) ; 874 (755) ; 894 (774)]. L’exégèse traditionnelle, au sens rigoureux et dogmatique du mot, les déUnitions expresses du magistère extraordinaire, l’ont donc loi en matière d’exégèse biblique. L’Eglise a usé plus d’une fois du droit qu’elle a de déterminer, par voie de définition dogmatique, le sens d’un texte. La proposition 47 du présent décret en rappelle un exemple remarquable.

A bien prendre les choses, loin d’être un joug insupportable, ce magistère est une sauvegarde qui met l’exégète catholique en meilleure situation que le protestant conservateur ; la liberté delà recherche trouvant chez nous son correctif dans la direction et, au besoin, dans la définition de l’Eglise. Il faut être étranger aux questions bibliques pour n’avoir pas le sentiment des dangers que l’ignorance et la présomption nous y font courir. C’est ce que nous (lisait en termes excellents, en 1892, M. Loisy, dans une leçon d’ouverture (reproduite dans ses Etudes Inblifjues, 1901, p. 26) : « La critique biblique, en faisant toucher du doigt les progrès lents et difficiles de l’éducation religieuse que Dieu, dans sa miséricorde, a voulu donner à l’humanité, doit inspirer l’humilité de l’esprit, une grande indulgence pour ceux qui se trompent involontairement, une profonde gratitude pour le Maître suprême qui n’a pas voulu nous abandonner à nos propres ressources, et qui a placé devant nous, pour nous guider à travers le désert de ce monde, une colonne de lumière, l’enseignement toujours ancien et toujours nouveau de son Eglise. »

Il en est qui accordent volontiers que « l’interprétation ecclésiastique des Litres sacrés n’est pas chose négligeable, mais elle reste soumise au jugement niieu.r informé des exég’etes et à leur correction n. (Prop. 2). Ce qui revient à dire que l’exégèse authentique, celle que l’Eglise donne officiellement, au nom de l’Auteur même des Ecritures, doit céder devant’exégèse scientifique, celle qui ne relève que l’herméneutique purement rationnelle. On le voit, dans sa généralité, cette proposition se fonde en définitive sur l’erreur condamnée dans la proposition précédente (4). Du reste, les théologiens catholiques distinguent icisoigneusementl’exégèse ecclésiastique courante de celle qui présente tous les caractères d’une interprétation authentique, et qui, de ce chef, s’impose à notre foi. C’est de celle-ci que doit s’entendre directement et avant tout la proposition 2 ; au regard de l’exégèse courante, il n’y a qu’un esprit et une direction à retenir. Cette interprétation, précisément parce qu’elle n’est pas authentique, peut être remplacée par une meilleure ; et donc elle reste soumise à la critique des e-xégètes.

Pour exercer plus efficacement son droit, tout à la fois doctrinal et disciplinaire, en matière d’exégèse, l’Eglise prend des mesures préventives, qui relèvent de ce que j’appellerai volontiers « la police ecclésiastique », Telle est la loi de l’Imprimatur. La censure préalable en ce qui concerne les travaux sur l’Ecriture, est entrée trop avant dans la législation et la pratique de l’Eglise depuis plus de quatre siècles, pour qu’on songe à en nier la légitimité et l’objet (Concile de Trente, Sess. iv, décret Insuper) ; ce qui a été contesté, c’est qu’elle s’étende à l’exégèse purement scientifique. Que les évêques contrôlent les manuels de séminaire, qu’ils interdisent de tirer de l’Ecriture d’autres dogmes que ceux de l’Eglise. rien de mieux ; mais leur réprobation, pas plus que

leur approbation, ne saurait atteindre les écrits qui n’ont aucune prétention théologique. Il n’y a pas de science, voire de science biblique, qui ait besoin d’être approuvée par les sujjérieurs.

C’est contre cette prétention qu’est dirigée la première proposition : « I.a loi ecclésiastique qui prescrit de soumettre à la censure préalable les libres concernant les saintes Ecritures, ne s’étend pas à ceux qui pratiquent la critique ou l’exégèse scien~ tifique des lit-res de l’Ancien Testament et du Nouveau. »

4" L’exégèse historique et l’exégèse théologique. — Les trois propositions qui précèdent ne se comprennent bien qu’en fonction de celles que nous avons groupées dans ce dernier paragraphe. A n’en pas douter, celles-ci visent une théorie sur laquelle M. Loisy est souvent revenu, notamment dans la seconde lettre de son opuscule : Autour d’un petit livre. Si je l’entends bien, voici à quoi elle se ramène :

Il y a, dans l’Ecriture, matière à deux commentaires distincts, indépendants l’un de l’autre. Le premier s’attache au sens historique, qui est le sens original, celui que les hommes qui ont écrit les divers livres dont se compose la Bible ont entendu mettre sous la lettre de leurs textes ; l’autre commentaire s’attache au sens religieux de ces mêmes textes, qui n’est rien autre chose que le rapport qu’ils ont, à un moment donné, avec la conscience des croyants. Ce rapport peut varier et a varié en effet avec les époques. Le commentaire historique envisage la Bible comme un texte d’origine humaine ; il ne tient aucun compte de l’inspiration ; entendant rester strictement scientifique, il ne relève que de la critique, c’est-à-dire de l’herméneutique purement rationnelle. Le commentaire théologique, qu’on appelle aussi ecclésiastique, dogmatique, traditionnel, envisage la Bible comme un texte divin ; il est essentiellement officiel ; né de l’autorité, il doit lui rester soumis. C’est de cette exégèse seulement que l’Eglise peut avoir souci, et prétendre la régir par ses prescriptions.

Sans prétendre que l’exposition que je viens de faire lient exactement et de tous points dans la proposition 61, il est certain qu’on entend y condamner la théorie prise d’ensemble. Du reste, cette proposition est tirée, mot à mot, de l’écrit dont je viens de parler (^u ?our d’un petit livre, p. 54) : « On peut dire sans paradoxe que pas un chapitre de l’Ecriture, depuis le commencement de la Genèse jusqu’à la fin de l’Apocalypse, ne contient un enseignement tout à fait identique à celui de l’Eglise sur le même objet : conséqiiemment, pas un seul chapitre de l Ecriture n’a le même sens pour le critique et le théologien. »

Cette conception fondamentale, qui est un divorce parfait entre l’exégèse théologique et l’exégèse historique, comporte un certain nombre d’autres vues, qui lui servent de prémisses ou qui en résultent par voie de conséquence. C’est à les condamner une à une que sont employées les sept propositions qui suivent.

Prop. 12 : « L’exégète, s’il veut se livrer utilement aux études bibliques, doit, avant toute chose, mettre de côté l’opinion préconçue de l’origine surnaturelle de l’Ecriture sainte, et ne pas l’interpréter d’autre façon que les documents purement humains. » Si ce point de départ était admissible, si c’était là un principe de bonne méthode, il s’ensuivrait que les hétérodoxes, et beaucoup plus les incroyants, se trouvent dans de meilleures conditions que l’exégète catholique pour interpréter correctement la Bible. C’est en effet ce qu’on affirme dans la prop. 19 :