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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/33

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LOURDES (LE FAIT DE)

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plus liaul. Bernheira est le clief de l’école de suggestion lie Nancy, laquelle est plus avancée et plus Lardie que l’école de la Salpètrière, à Paris. Celle-ci n’admet pas tout ce que la première raconte et publie. C’est donc, de notre part, accepter le terrain le moins favorable pour la thèse que nous défendons ici.

Quand on s’occupe de la vertu thérapeutique de lasufffccstion, une distinction fondamentale s’impose, et on l’a Irop souvent négligée. Il faut traiter à part des maladies organiques et des maladies fonctionnelles, moins proprement appelées nerveuses. Dans les premières, il y a lésion : entendez qu’un organe est atteint. Une dent d’une roue a été cassée, ou ébréchée ou faussée, dans l’horloge. Dans les secondes, tous les organes sont intacts ; ce sont des maladies, comme on dit en médecine, sine materia. La fonction seule est en défaut, et pour une cause qui n’a rien d’organique. Un grain de poussière s’est introduit dans un engrenage, et l’horloge s’est arrêtée, quoique le microscope ne découvre rien de brisé ni de déplacé dans les ])iéces qui la composent.

Celte distinction étant faite, on voit beaucoup mieux ce que peut la suggestion et surtout ce qu’elle ne peut pas. Accordons qu’elle exerce son action dans les maladies fonctionnelles, ou, selon l’expression de Bernheim, « dans le champ des névroses >>. Non point certes qu’elle réussisse toujours, même dans ce domaine limité. D’abord, elle est loin de réussir avec constance, même à l’égard de celles de ces maladies où les suggestionneurs assurent qu’elle a le plus d’empire ; mais surtout il en existe l)eaucoup qu’elle ne guérit jamais. Telles sont, par exemple, d’après le savant suggestionneur de Nancy, la neurasthénie héréditaire, avec ses innomlirables manifestations ; l’hypocondrie invétérée, répile[)sie, la chorée, le tétanos, etc. Malheureusement, nous ne pouvons donner ici, faute d’espace, les citations de Bernheira et les références qu’elles appellent. On les trouvera, si on désire les voir, dans notre Histoire critique de Lourdes, p. 180 et suiv. — Cette observation s’applique aussi à ce qui va suivre.

Mais négligeons les maladies fonctionnelles. Ce qu’il faut considérer ici surtout, ce sont les maladies organiques. Or, disons le tout de suite : dans les maladies organiques, la thérapeutique de la suggestion est nettement impuissante. Les suggestionneurs prétendent qu’elle a parfois un certain empire sur des symptômes secondaires, comme l’insomnie, et, qu’en les amendant, elle est capable d’exercer indirectement quelque influence heureuse sur la maladie elle-même. Mais ils avouent qu’elle ne peut rien directement sur la guérison, laquelle vient ou ne vient pas, indépendamment de toutes les idées qu’on tente de suggérer au malade, ou qu’il se suggère à lui-même. Ecoutez ces déclarations du savant Israélite que nous avons déjà cité ; nous les prenons çà et là dans son ouvrage : « La suggestion est une thérapeutique presque exclusivement fonctionnelle… La suggestion ne peut réduire un membre luxé, dégonfler une articulation gonflée par le rhumatisme. .. (Elle) ne peut ni résoudre une inflammation, ni arrêter l’évolution d’une tumeur ou d’un processus de la sclérose. La suggestion ne tue pas les microbes, elle ne cicatrise pas l’ulcère rond de l’estomac. » On ne suggère pas non plus « aux tubercules de disparaître. .. La suggestion n’enraie pas l’évolution organique de la maladie ; trop souvent elle ne produit qu’une amélioration transitoire ; les maladies, de leur nature progressives et envahissantes, telles que l’ataxie locomotrice, la sclérose en plaque, etc., continuent leur marche inexorable. »

Bernheim écrivait cela à la fin du xrx’siècle ou

tout à fait au début du xx’. Depuis, la thérapeutique suggestive a perdu encore de son autorité, parmi les esprits d’élite qui l’ont pratiquée. L’expérience ne lui a pas été favorable.

Je me souviens d’avoir entendu, en igo^, au bureau des constatiitions de Lourdes, un médecin principal de l’armée, lequel était chargé de l’hôpital militaire, dans une grande ville encombrée de soldats. Devant moi et devant plusieurs de ses confrères, il dit à un suggestionneur, qui paraissait avoir le zèle d’un novice : « J’ai pratique beaucoup la suggestion, parmi mes malades ; elle m’a donné de si pauvres résultats que j’y ai absolument renoncé : je ne la pratique plus. »

Plus récemment, je voyais un des médecins de France, qui se sont le plus occupés decette question, tliéoriquement et pratiquement, le D Grasset, de Montpellier ; je lui demandai : « Docteur, voulez-vous me permettre de vous poser une question dans un intérêt scientifique ? Non seulement vous.ivez écrit sur la thérapeutique de la suggestion, mais vous en avez usé souvent sur vos malades. Eh bien ! en avez-vous obtenu des effets heureux ? » Il me répondit :

« Des ePTets peu nombreux et peu durables. » —
« D’autres hommes compétents m’ont déjà fait cette

réponse, repris-je. Ne croyez-vous pas, docteur, que cette thérapeutique, un moment si à la mode, est elle-même bien malade ? » Il lit un geste, qui signifiait :

« Si, je le crois ; elle est bien malade. » 

On remarquera ce mot : « Des effets peu durables. » Il correspond à celui qu’on a trouvé tout à l’heure sous la plume du D’Bernheim, défenseur quasi officiel de cette méthode : a Trop souvent la suggestion ne produit qu’une amélioration transitoire. » D’autre part, le même savant fait observer que son action est lente et progressive. C’est une thérapeutique qui exige la collaboration du temps. (Hypnotisme, suggestion et psychothérapie, Paris igoS, p. 337, 33^). Les suggestionneurs Delbœuf et Wetterstraxd sont du même avis (Delbœuf : Le Magnétisme animal, etc., Paris 1889, p. 61 ; Wetterstrand : L’Hypnotisme et ses applications, Paris, 1899,

p. 5).

Comparez maintenant, trait pour trait, avec la cause mystérieuse qui agit à Lourdes : la dissemblance vous paraîtra complète, et vous n’aurez pas de peine à conclure que deux forces, si différentes dans leur action, ne sauraient être deux forces identiques dans leur nature. L’une agit exclusivement

— quand elle agit — sur des maladies fonctionnelles ou nerveuses, l’autre agit aussi sur des maladies organiques, les plus invétérées et les plus graves ; la première ne donne que des résultats éphémères, même dans le champ restreint où s’exerce son empire ; la seconde opère des guérisons durables, radicales, absolues ; celle-là, pour arriver aux médiocres effets qu’elle donne, doit s’exercer longtemps et d’une manière répétée ; on voit parfois celle-ci faire les prodiges qu’elle fait, en quelques minutes, avec la rapidité de la foudre. Si elle était la suggestion, elle agirait à la manière de la suggestion et dans les mêmes limites ; elle ne peut agir autrement que parce qu’elle est autre chose.

Quelle chose ? Une chose inconnue, répliquent les ennemis des miracles, que l’on connaîtra sans doute un jour. C’est la troisième explication, par où ils essaient d’échapper au surnaturel, qui les presse de toutes parts.

Eludions-la en finissant.

— l.’e.rplication par les forces inconnues. — C’est donc lasuprême ressource des incrédules en déroute. Voici leur raisonnement : « Nous ne connaissons pas toutes les forces de la nature, ni toutes les lois