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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/39

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MAGIE ET MAGISME

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fort nombreux. Dans les Védas, par exemple, au jugement de M. Oldenberg, c’est » une fantaisie isolée » (H. Oloembero, La Religion du Véda, Paris, 1908, a65-a66 ; V. I^Ienhy, La Magie dans l’Inde, Paris, 1909, II et 251-252). — Rare ou non, cette fantaisie doit être expliquée. A moins de supposer un renversement des lois psj’chologiques ordinaires, il faut penser que, dans l'âme de l’audacieux qui cherche ainsi à faire de son dieu l’esclave de sa volonté, il y a eu comme une éclipse, au moins momentanée, de sa foi en la majesté redoutable des dieux tout-puissants. Tout à l’heure, il se prosternait devant eux, dans un humble aveu de dépendance. Maintenant, il entend les subjuguer. Il a donc cessé, pour un instant, dans le délire de sa passion, de croire à la majesté de son dieu, de concevoir le divin comme tel. Devant l’idole intérieure, qui est sa convoitise divinisée, tout autre dieu est détrôné et pratiquement ne compte plus.

Il faut écarter de la magie deux cas assez semblables en apparence à celui-là, mais qui en sont en réalité fort différents :

a) Il arrive que l’adorateur d’une divinité pense sérieusement pouvoir la lier par certaines prières ou certaines formules. Mais, si son acte indique une tendance superstitieuse, il n’est pas pourtant, à vrai dire, magique. Le mortel n’a voulu prendre son dieu que de la manière dont il s’imaginait ([ue son dieu voulait être pris. C’est, dans son idée, ce dieu luimême qui a révélé ou laissé surprendre ce procédé pour le vaincre. Et il n’est finalement contraint que parce qu’il l’a permis. Dans l'àme peu éclairée de celui qui pose cette condition, c’est donc bien encore, malgré tout, le sens religieux qui domine. Son acte reste un hommage secret — sinon discret — à la souveraineté de ce puissant, qui s’est soumis de son plein gré à cette capture, pour ne pas manquer aux lois qu’il s'était lui-même tracées.

Il) Il est moins dillicile encore de reconnaître la religion dans les prières ou les pratiques que prescrit un rituel pour rompre les charmes des sorciers. Dans ce cas, au lieu de magie, il faut parler plutôt de contre-magie, ou mieux encore d’exorcisme religieux.

Rien de divin — rien du moins qui soit clairement conçu et avoué pour tel — ne doit donc être laissé dans la catégorie des objets qui spécilient la magie, si l’on ne veut risquer de tout confondre.

î) Les puissances, les forces préternaturelles et infra-divines que prétend compulser le sorcier, sontelles nécessairement des puissances personnelles ? Il ne semble pas. En recourant à ses recettes occultes, le magicien ne veut qu’une chose : il lui faut un surplus de force que la religion lui refuse ou lui fait trop attendre. Que lui importe à ce prix la nature ultime — personnelle ou impersonnelle — de cette énergie dont il exige le service ? Il va jusqu’aux extrêmes limites de son pouvoir, sans bien s’inquiéter de ce que sera le surcroît qu’impérieusement il somme de répondre à son désir. Il a d’ailleurs dans la majorité des cas une réponse toute faite à cette question. C’est celle qui a cours depuis un temps immémorial dans le milieu où il vit. Elle peut varier suivant les croyances mythologiques ou cosmologiques de la société où elle s’est élaborée.

3) Enfin, bien différente en ceci de la religion, la magie se meut tout entière hors de l’ordre moral, hors de la sphère de l’honnête et de l’obligatoire. — C’est sacrifier à l’esprit d'école, que d’ajouter, comme plusieurs sociologues, à cette première distinction assez ferme, une seconde distinction prise du caractère social ou antisocial d’un rite, comme s’il y avait entre social et religieux, antisocial et magique, une

Tome III.

équivalence sensible. Dans la réalité des faits historiques ou ethnologiques, ces distinctions, si nettes dans l’apriorisme de la théorie sociologique de ceux qui les inventent, s’effacent ou se renversent plus d’une fois. Tout dépend en somme de l'état moral ou religieux d’une société. Suivant cet état, ce sera tantôt par la magie et tantôt par la religion qu’elle ira à ses fins. Il n’en est pas autrement pour les individus. Cf. Hecherches, III, p. 420-426.

3° — Symbole mai ; ique et sacrement religieux. — Prestige magique et miracle religieux. — Tentons un dernier rajjprochement entre le mystère magique et le mystère religieux d’une part, entre le prestige magique et le préternaturel religieux d’autre part.

M. Salomon Reinach, MM. Hubbbt et Mauss euxmêmes, semblent ignorer profondément la première de ces distinctions. Et c’est dommage. On ne leur demande pas de connaître aussi bien qu’un catholique ce qu’ils entendent par rite sacramentel et ce qu’ils attendent de son ellicacité. Du moins auraientils pu se renseigner.

Il est très vrai, et c’est peut-être ce qui a causé l’erreur de MM. Hubert et Mauss, que le symbole magique et le sacrement chrétien sont des signes sensibles qui expriment une réalité appartenant à ce vague surnaturel in a way qui déborde de tous côtés le monde profane. Il est très vrai encore que l’un et l’autre sont des rites efficaces, agissant, comme on dit, ex opère opéra to, mettant en œuvre, pour un effet transcendant, une force mystique, dont ils sont le véhicule sacré. Sous ce rapport tout matériel, pas grande différence entre la structure, le mécanisme d’une opération magique et celui d’un mystère religieux. Ces airs de famille n’ont vraiment pas de quoi surprendre. Ils viennent à ces rites apparentés, d’une nécessité commune d’adaptation à certains besoins innés de l'âme humaine.

D’ailleurs, sous ces ressemblances surtout extérieures, de profondes différences se cachent.

Le rite religieux et le rite magique s’opposent pour les mêmes raisons que la religion et la magie : le sacrement se rattache à Dieu, comme à son agent principal. C’est Dieu qui lui donne sa vertu pour un effet digne de lui et strictement surnaturel, la sainteté du cœur. Le symbole magique a « sa vertu propre « , son efficacité contraignante, indépendamment de toute préparation ou précaution morale. Il est la cause physique, déterminante, d’un effet auquel par lui-même il n’est pas proportionné et que ni Dieu ni la conscience ne saurait sanctionner.

En est-il de même des deux autres sosies que tant d’auteurs accouplent ou identifient sans précaution : le prestige et le miracle ? Y a-t-il un préternaturel spécifiquement religieux, un merveilleux qui le mime, et cependant appartient plutôtàla sphère magicpie ?

Il faut avouer qu’entre l’un et l’autre la différence est parfois étrangement dillicile à expliquer, si l’on s’obstine à considérer cette double série de phénomènes anormaux hors des circonstances concrètes où ils s’insèrent. On peut même dire qu’elle est moralement impossible à saisir, pour quiconque s’arrête à la pure matérialité des faits.

Mais si jamais quelqu’un se contentait de cette considération superficielle, ce serait, à coup sûr, au mépris de toute la tradition chrétienne et du simple bon sens. S. Augustin et S. Thomas n’ont pas attendu notre siècle pour bien marquer qu’il est souvent impossible de distinguer entre miracle et prestige, si l’on ne consent pas à raisonner, comme tout homme doit le faire, avec toute son âme, en tenant compte des anticipations et des quasi-intuitions que