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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/40

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MAGIE ET MAGISME

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donne à chacun, ne fùt-il paschrétien, le sens moral, dès son premier éveil, qu’achève encore et précise la poussée secrète de la grâce.

C’est qu’il y a entre le prestige magique et le miracle religieux un abîme…, un abîme, hélas ! que les meilleurs des théoriciens évolutionnistes que j’ai cités ne voient pas. C’est à peine si Wundt, et c’est presque le seul, note la différence entre merveilleux et merveilleux ; il a bien remarqué, grâce à une induction ethnologique assez étendue, que le miracle, dans les différentes religions, est comme resene aux dieux suprêmes, tandis que le rite magique prétend produire ses ell’ets par la vertu de l’homme. Mais visiblement cela ne le frappe pas. Il n’a pas vu que cette relation au monde divin est précisément ce qui donne son caractère religieux au miracle. Le prestige reste magique pour ne l’avoir pas. Jevons s’approche davantage de la vérité, mais n’en voit qu’un aspect. N’est miracle, pour lui, que ce que la société peut approuver, que ce qui est son bien. Il n’exclut pas, comme tant d’autres, le bien moral. Et c’est heureux. Mais il n’observe pas assez que, dans la pratique même, ce qu’une société considère comme son bien n’est pas toujours celui qu’approuve la conscience des individus. Ce sorcier, par ses passes, aura beau vouloir procurer à la collectivité ce qu’elle désire, pluie, soleil ou vent, mort ou défaite de ses ennemis ; il n’en restera pas moins vulgaire sorcier, tant que son acte ne sera pas soustrait à l’ordre matériel et profane, pour être attaché à un ordre supérieur, l ordre moral. Sans cette relation interne d’un fait inouï à l’ordre divin et à l’ordre moral, il n’y a pasvrai miracle ; il n’y apas de signe religieux ; il y a trouée stérile, brèche inféconde ou nuisible dans l’enchaînement habituel des causes et des effets : il peut y avoir magie.

Essayons maintenant de fixer en une dclinition la notion de la magie. C’est celle d’un pouvoir et d’un milieu, en quelque manière surnaturel, qui est censé permettre à l’homme d’exercer, même à distance, par des moyens sans proportion apparente avec la fin à obtenir, une influence occulte, anormale, contraignante, infaillible. Ce qui est caractéristique en tout cela, ce n’est pas la nature personnelle ou impersonnelle des forces surnaturelles mises en œuvre ; ce n’est pas davantage la portée sociale ou antisociale du rite accompli ; c’est plutôt l’esprit positif d indépendance à l’égard de tout maître divin et de toute loi morale, avec lequel agit le sorcier, jaloux d’égaler enfin, sans mendier le secours de personne, sans contrainte imposée à ses passions, son pouvoir débile et ses plus démesurés vouloirs.

II.

Magismb

Le contraste que nous avons constaté entre la religion et la magie a-t-il toujours existé ? Quels ont été à l’origine les rapports des deux antagonistes ? Peut-on dire que l’un a précédé l’autredans le monde, ou bien y sont-ils entrés tous les deux à la fois, si bien fondus ensemble qu’on aurait pu les croire indiscernables ? C’est à cette seconde question, plus obscure encore que la première, et sur laquelle la science ne peut faire que des hypothèses, qu’il nous faut maintenant répondre. — Mais, entendons d’abord, pour essayer de les juger, les réponses qu’y ont faites les théoriciens de la magie.

Trois systèmes surtout sont en présence. On peut y ramener, sans trop de violence, tous les autres. Trois mots conventionnels, pour lesquelson demande l’indulgence du lecteur, serviront à les désigner.

1° Le Magisme de M. Frazkr fait pendant à l’animisme de M. TvLOR, auquel il prétend s’opposer.

Avant l’âge où, d’après l’école de Tylor, l’humanité naissante ne connaissait que des esprits, non encore promus au rang des dieux, les partisans du magisme rigide (ils sont en réalité peu nombreux) croient découvrir, à travers les ténèbres de la préhistoire, un âge plus primitif encore, celui de la magie pure ou non animiste. L’animisme et a fortiori la religion, le culte de dépendance à l’égard des dieux, ne serait qu’un produit d’évolution assez tardif. La foi aux dieux serait sortie de la crise d’âme, par laquelle, après de longs siècles d’exercice, passèrent les sorciers, s’apercevant enfin de l’inanité de leur art.

a* Le Prémagisme est professé par la plupart des préanimistes de l’école évolutionniste, c’est-à-dire de ceux qui, dépassant l’animisme de Tylor sans tomber dans le radicalisme magique de Frazer, postulent, avant la religion et avant la magie pure, a un état social très imparfait, où magie et religion sont encore confondues dans quelque chose qui n’est, à proprement parler, ni la magie ni la religion, et qui tient la place de l’une et de l’autre » (A Loisy, A propos d’histoire des religions, p. 183). C’est, avec des nuances que nous avons essaj’é ailleurs de préciser, le système de MM. Hubert et Mauss, Marett, Loisy, etc. — (Voir les liecherches de science religieuse, mars-avril 1912, p. lô’j-aoo.Sur les différentes formes de préanimisme, même revue, t. 111, janvierfévrier 191 1, p. 73-84.)

3° Ceux qui refusent d’adhérer aux théories évolutionnistes rigoureuses qu’on vient de caractériser, se rattachent presque tous, mais avec des différences appréciables, à l’idée d’un théisme primitif, antérieur à la magie, ou du moins acclimaté dans le monde presque aussitôt qu’elle, et, dès lors, suffisamment distinct d’elle.

Dans quelle direction y a-t-il davantage chance, au simple point de vue scientifique, de rencontrer la vérité ?

I. Critique du magisme primitif. — Pour montrer que le magisme rigide n’a aucun point d’appui dans la réalité, il suffit de passer au crible le principal argument de Frazbr. Il l’emprunte à l’ethnologie. Belle occasion pour voir se mesurer i » u même problème le célèbre folkloriste écossais et l’ethnologue autrichien qui, avec Andrew Lang, a le plus fait pour ruiner les apriorismes des historiens évolutionnistes des religions. On veut parler du P. ScHMiiiT, le fondateur de la revue internationale.-InïAro^os et l’initiateur de la Semaine d’ethnologie religieuse. C’est l’opposition radicale de deux méthodes : d’un côté une méthode purement impressionniste, de l’autre la Kulturhistorische Methode.mise en honneur par Græuner et d’autres, parmi lesquels se distingue le P. Schmidt.

Frazer, en une phrase tranchante, se porte garant de trois faits : i" l’absence presque totale en terre australienne d’une religion quelque peu développée ; a » le règne universel et incontesté, en ces mémes~ régions, de la magie (non animiste) ; 3° la « primitivité » ethnique des tribus océaniennes restées les plus fidèles à la magie. D’où il conclut à la priorité de la religion sur la magie dans le monde. (Cf. J. G. Frazer, Le rameau d’or, a’= édition [Trad. Stiébel et Toutain], p. 76. n’1.) C’était donc déjà son opinion depuis 1900. Elle n’a pas varié. Cf. Totemism, du même auteur, t. I, p. 144, rééditant un article de 1905. Enfin en 191 1, la 3= éd. du Golden Bough, Magic,. I, p. 234, reproduit encore, malgré la vive critique d’A. Lang (Magic and Religion), le même argument.

Or, de ces trois affirmations, il n’en est aucune qui résiste à la critique :