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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/57

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MARIAGE ET DIVORCE

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Le divorce est un mal auquel on ne fait pas sa part. Quels seront, en effet, les cas légitimement admis ? De par la nature même des choses, il n’existe aucune détermination précise, aucune limite. Qui décidera des cas oùl’on doit accorder le divorce ? L’inspiration la plus aveugle et la plus désordonnée, celle des passions, d’autant plus débridées qu’elles auront la perspective de se libérer plus aisément. Les limites seront-elles posées par l’autorité des seuls intéressés, des époux mécontents ? On voit quel sera le résultat. Par l’autorité publique, par la loi civile ? Un autocrate eût fait jadis une loi générale, pour se donner le droit de divorcer. Nos modernes parlements, sous les dépendances électorales qu’ils svibissent, se livreront progressivement à des surenchères immorales, pour satisfaire l’opinion la plus malsaine et la plus bruyante. L’aboutissant Dnal, à délai plus ou moins bref, sera le divorce par consentement mutuel. Logiquement, il faudra arriver au divorce par la volonté d’un seul, si celui-ci se juge sacrifié. Après tout, le droit d’un seul, si droit il y a. est aussi sacré que celui de deux. De là à l’union libre, négation de la famille, il n’y a qu’un pas ; et cepas, sous l’impulsion de la presse et de l’opinion, n’est pas long à franchir de nos jours.

Ce qui devait arriver est arrivé en effet, ou bien près d’arriver. Voir notamment quelques statistiques plus haut dans l’article de M. H. Taudiûhe sur la Famille, col. 1892 et suiv. Les chiffres cités, il faut le remarquer, ne portent que sur les ruptures de véritables unions conjugales. Ils seraient bien plus élevés, si on tenait compte des unions libres, qui deviennent chaque jour plus nombreuses et qui se font et défont avec une facilité toujours croissante. Car, il n’y a pas à se faire illusion, les restrictions apportées par la loi civile au régime du divorce sont, a considérer les principes du législateur, une inconséquence logique. Les masses, clairvoyantes dans leur manière simpliste de juger les choses, acceptent les principes et en tirent dans la pratique les conséquences les plus étendues. A quoi bon s’embarrasser dans les liens, ou mieux dans les formalités oiseuses, d’un mariage civil, puisque le seul lien valable, devant la loi elle-même, c’est celui de l’amour librement consenti et librement retiré, par lequel tout commence et avec lequel tout finit ?

Encore la loi s’est-elle heurtée jusqu’ici aux mœurs publiques, qui ont été si longtemps et si profondément chrétiennes, et où persiste une peur honteuse du divorce. Cet esprit chrétien, survivant et flottant encore dans l’opinion et les milieux où sont encadrés les ménages émancipés, retarde le développement du mal. Mais l'école, le livre, le journal, le théâtre auront bientôt détruit ces obstacles, et la famille aura vécu. Pour une part toujours grandissante de la société, elle ne sera plus qu’une institution vieillie et démodée. Il n’y aurait plus de divorces, le jour où on ne se marierait plus. Il n’y aurait plus qu’unions libres et libres désunions.

Autre raison. Ces exceptions ne sont pas absolument requises par la justice naturelle. S’il y a des victimes à raison de l’indissolubilité, ce sont des sacri/ices individuels exigés par le bien commun, surtout par le bien qui prime tous les autres, celui de l’enfant. Les innocents sacrifiés par l’indissolubilité sont beaucoup moins nombreux que ceux sacrifiés par le divorce. Et puis, la vie sociale est faite de sacrilices, de restrictions, de spoliations de nos droits : expropriations et prescriptions en matière de propriété, responsabilité civile en matière de pénalité, sacrifice même de la vie pour le salut de la société… N’exagérons pas la loi de la solidarité jusqu'à vouloir baser sur elle toute morale. Ne développons pas

le sens social moral jusqu'à absorber l’individu avec tous ses droits dans la société. Mais gardons-en la part de vérité suffisante pour condamner l’individualisme jouisseur, qui prétend mettre au-dessus de tout le droit au bonheur ; pour établir la suprématie du devoir envers l’enfant et la race humaine, sur la liberté et la licence de l’amour.

Une dernière remarque ne sera pas inutile. Il peut se trouver des esprits qui acceptent l’indissolubilité à cause de l’enfant, mais qui la mesurent strictement et en quelque sorte matériellement aux exigences de celui-ci ; qui la comprennent donc dans l’hypothèse où un enfant est réellement né et pour le temps où il a besoin de ses parents, mais qui la rejettent chaque fois que l’enfant manque dans le ménage, ou dès qu’il se suflit à lui-même.

Répétons d’abord que raisonner ainsi, c’est oublier le caractère de la présente loi. Le régime naturel du mariage, on ne saurait trop y insister, ne s'établit pas d’après les variations accidentelles et fortuites des circonstances particulières, dans tel ou tel cas concret, mais bien d’après ce qu’il y a de normal, de constant et d’universel dans l’institution matrimoniale. Or le mariage, normalement, comporte l’enfant et, à raison de l'éducation nécessaire, requiert la stabilité indéfinie de la société familiale.

De plus, les fins secondaires du mariage, notamment l’assistance mutuelle des époux, réclament cette durée indéfinie de l’union conjugale. Ne seraitil pas inique, après vingt, vingt-cinq, trente ans et plus passés ensemble, qu’il fût loisible à l’un des époux d’abandonner l’autre, de le laisser peut-être dans la détresse, ou du moins dans l’impossibilité, le plus souvent, de se refaire une vie nouvelle ?

50 Le contrat naturel de mariage et les lois positives (en dehors de la loi mosaïque et du christianisme). — Il n’y a évidemment pas à rechercher quelle autorité a pu ou peut encore faire des lois sur la nature ou sur l’objet essentiel du mariage ; cette matière est déterminée de par la loi naturelle et nulle autorité n’y peut rien changer. La question se pose ainsi : quelle autorité a pu, en dehors du monde juif, et peut encore, en dehors du christianisme, faire des lois qui atteignent la valeur du mariage, soit à raison des formalités exigées ad valorem, soit à raison de certaines incapacités absolues ou relatives (âge, parents…)?

Nous répondrons, à l’encontre de quelques théologiens du XIX' siècle : l’autorité civile a pouvoir de régler le droit matrimonial de ses sujets non baptisés, et de constituer des empêchements qui atteignent la valeur du mariage.

Sur quoi se fonde une telle affirmation ? Sur ce fait que le droit matrimonial est, sauf quelques rares points essentiels, très indéterminé et ne peut cependant, sans graves dangers, demeurer tel. Il ne règle rien touchant les formalités requises pour la conclusion du contrat ; et, cependant, n’est-il pas de l’intérêt de la société et des individus eux-mêmes, que cet acte soit précédé et entouré de certaines précautions, qui protègent les contractants contre leur inexpérience personnelle, contre les entraînements de l'âge, de la passion, ou contre les séductions, les fraudes, l’abandon des conjoints ? En matière d’empêchements, le droit naturel ne statue à peu près rien d’une manière ferme ; et cependant il est hors de doute que les bonnes mœurs de la famille, et même des raisons d’ordre physiologique, réclament linterdiction du mariage à certains degrés de parenté. Or comment pourra-t-on obtenir des résultats aussi importants si nulle loi ne peut réprimer efficacement ces abus, en frappant de nullité tout acte contraire ?