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PATRIK

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Taiil il est vrai que l’iJée de patri<' et les sentimenls qu’elli- engendre sont immuables !

Je n’en Unirais pas, du reste, si je voulais citer, ne ffit-ce qu’une fois cbacun, les Anciens dont In voix pourrais ajouter quelque chose, si c'était nécessaire, à l'évidence de ce fait. Que serait-ce si je voulais y joindre les traits historiques sans nombre qui parlent dans le même sens ! Il me sutliia, sans doute, de rappeler à quelles sources latines et grecques s'était exalté le patriotisme qui sauva la France de l’invasion et lui (il conquérir l’Europe il y a quelque cent années (C ; f. BnuNRXiÈHn, /)iscour.'- de cnmOut : L’idée de pairie. — Fustel de Coulanges, /.a cité antique, ch. xiii, p. 233 de la 15° éd.).

Le Moyen Age joint, sur ce point, son témoignage à celui de l’Antiquité. Du jour où les Barbares ont cessé d'être des tribus errantes et se sont lixés sur les ruines de l’empire romain pour y former des nations, ils ont conçu la patrie comme les Anciens et comme nous ; ils l’ont aimée île la même manière. Au temps de Clovis, le royaume des Francs est déjà pour eux ce qu’il sera pour leurs descendants au temps de Gliarleraagne, ce qu’il demeurera au temps de la féodalité : « la France, maîtresse des terres », comme l’appellera Suger au xii'^ siècle ; la France libre et douce que, dès le xi*, célébreront nos chansons de geste :

Tere de France, inult estes dulz païs !

la patrie pour laquelle les héros de nos épopées combattent jusqu'à leur dernier souffle.

Le nom y est, diront ceux « pu veulent à toute force que lidée de patrie date, chez nous, de la Ucvolution ou, tout au plus de Jeanne d Arc ; mais eroyezvous vraiment qu’il s’appli jue à la même chose ? La réponse est facile : < Le nom de France, écrit Léim Gautier, est donné 170 fois, dans la chanson de Roland, à tout l’empire de Charlemagne. Il est vrai que, en plusieurs autres passages du poème, ce mcme mot — F’rance — est em()loyé pour désigner le pays qui correspondait au domaine royal avant Philippe-Auguste ; miis il ne faut [las perdre de vue le sens général qui est de beaucoup le plus usité. En résumé, le pays tant aimé par le neveu du grand empereur, c’est notre France du nord avec ses frontières naturelles du coté de l’est et toute la France du midi pour tributaire. » (Léon Gautieb : /. » Chanson de Roland, note sur levers 36)

En d’autres termes, il y avait alors, comme aujourd hui et au temps d’Ulysse, de petites patries dans la grande : Francie, Anjou, Maine ou Bretagne, on les aimait ; mais on aimait aussi la France et l’on savait mourir pour elle. Etait-elle en danger ? Les Capitulaires ordonnaient la levée en masse : « Pour la défense de la patrie », dit l’un d’eux, l'édit de Pistes de 864, « que tous, sans aucune exception, prennent les aruies «. Tous les privilèges sont suspendus en cette occurrence. Il en sera de même à l'époque féodale quand la petite patrie, duché ou comté, sera en péril De nombreux documents en témoignent aux x" et xi' siècles. Telle abbaye est franche de tout, sauf de fournir des hommes « pro defensione patriæ » ; tel seigneur reconnaît l’indépendance d’un domaine, « à moins, ajoute-t-il, qu’il ne s’agisse d’un des cas où le peuple, appelé de partout, doit venir même des alleux aOn de combattre pour la [latrie ».

A cette époque, sans doute, le patriotisme local est très vif, très agissant, très belliqueux ; mais l’idée de patrie, telle que nous la concevons encore, n’en est pas moins celle qui l’enfante ; et à côté de lui, le patriotisme général existe. Il est déjà puissant.

Il le devient de plus en plus à mesure que se parfait l’unité territoriale du royaume. Est-il besoin de citer le fait de Bouvines ou la devise de saint Louis :

« Dieu, France et Marguerite » ; ou le mot de

Duguesclin lixant lui-même sa rançon à une somme énorme ? « Je la vaux, disait-il ; et quant au reste, sachez qu’il n’est femme de France, fût-ce dans la plus humble chaumière, qui ne file pour la ]>ayer. » Que de témoignages du même genre dans notre histoire ! Est-il besoin de parler de Jeanne d’Arc, à qui ses 'V’oix, pour la préparer et la décider à son extraordinaire mission, commençaient par décrire

« la grande pitié qui était au royaume de France » ?

Elle est vraiment la sainte de la pairie et du patriotisme. En elle. Dieu d’abord, par une révélation directe, puis l’Eglise, en la canonisant, les ont bénis et sanctifiés tels que nous les concevons et qu’on les a toujours conçus. Plus près de nous, s’il fallait montrer que les hommes du xvi' siècle n’aimaient pas que leur roi ou leur province, je n’aurais qu'à nommer Bayard ou à transcrire, avec le sonnet célèbre où du Bellay exprime pour son « jietit Lire » tant de regrets et de tendresse, ses touchants appels à la grande patrie :

France, mère des arts, des armes et dos lois.

Hors de chez nous, je ne serais pas plus à court de preuves. Les littératures nationales de l’Allemagne, de l’Ang-leterre, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, de la Pologne, de la Hongrie, m’en fourniraient en abondance aussi bien que leur histoire. Dans le pajs du Cid comme dans celui de Shakespeare ou de Sobieski, la patrie que l’on sert dans les travaux de la guerre et de la paix et que l’on exalte dans ré|)opée, le drame ou le lyrisme populaire, est celle que l’on exalte et sert partout de|)uis que le monde est monde. Dante met dans son Enfer ceux qui la trahissent ; et qui donc lirait sa Divine Comédie sans être ému de l’amour passionné qu’il montre pour sa Florence et son Italie ?

Ce serait, du reste, une erreur de croire que, dans l’Europe monarchique, l’idée de patrie ail été conçue autrement que dans l’Europe féodale. On dit souvent qu’elle fut alors commejncarnée dans le roi et que nos pcies, jusqu’en 1789, ne distinguèrent plus, dans leur alfection et leur dévouement, la patrie ni l’Etat d’avec le monarque. Ce n’est jias exact. Les " patriotes » de 178.) et 1793 n’ont rien inventé, que la déplorable et grossière confusion qu’ils ont commise, de propos délibéré en bien des cas, entre leur pairie et leur parti. Ils ont appelé ^ « (cioifsme ce que tout le monde appelle aujourd’hui /i » ma/117arisme et antipatriotisme ; et ils n’ont fait qu’exploiter, dans l’intérêt de leur parti à l’intérieur et de la patrie aux frontières, un sentiment profondément enraciné dans toutes les classes de la nation et que la menace, puis l’invasion de l'étranger, exaspérèrent (Voir les faits décisifs allégués à cet égard par A. Gochin dans un article sur /e l’atrioiisme itumanilaire dans Hesue Universelle, i" avril 1920). En face d’eux, les émigrés et lei Vendéens entendaient bien aussi servir leur jiatrie en prenant les armes cintre ceux qu’ils regardaient comme une oligarchie criminelle. Cen’est pas ici le lieu d’examiner s’ils eurent tort d identifier la patrie, Jes uns avec la république ou la révolution, les autres avec la royauté ; ce qu’il y a de certain, c’est que la Convention, en tenant tête à l’Europe coalisée, entendait défendre la patrie et non pas seulement la république ; et que les émigrés ne se sont pas crus dans leur patrie à Coblenz ou à Gand par cela seul que le roi s’y trouvait : le prétendre serait une absurdité démentie par tous les documents de

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