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PATRIE

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avec la docliine catholique, ni conlrcdire la doctrine catholique sans contredire, dans la niôtne mesure, et les faits et la raison.

L’apologiste trouvera donc là de quoi remplir sa lâche en démontrant tantôt que la doctrine catholique s’accorde avec la théorie scientiljque du patriotisme, tantôt que les doctrines adverses contredisent cette théorie et sont, en conséquence, dépourvues tout à la fois des titres positifs et des titres rationnels que tout homme de l)on sens doit exiger d’une doctrine avant d’y donner son adhésion.

II. — TiiÉonin sciENiiriQUE du rvxnioTisME. — lo L’idée de patrie : les /ails. — Il est possible que l’idée de patrie n’ait pas toujours existé et n’existe pas partout ; mais, à vrai dire, ceux qui le croient n’en savent rien. Il est certain qu’elle est, selon les temps, les pays, les races et les individus, plus ou moins nette, forte et féconde ; mais c’est là le sort commun de toutes les idées humaines et l’on n’en saurait légitimement induire qu’elle soit le produit artiliciel d’une certaine forme de la civilisation destinée à disparaître et avec laquelle elle doive, un jour, disparaître aussi. Ce que dit l’histoire, c’est quel’idée de patrie, dès qu’on en constate l’existence, apparaît toujours et partout la même.

Son témoignage, sur ce point, est particulièrement facile à recueillir ; car, de tous les souvenirs historiques et de tons les monuments liKéraires laissés à la postérité par les formes variées des sociétés hu maines, il n’en est pas de plus célèhrcs, — disons mieux, — de plus populaires que ceux-là mêmes où la patrie et le patriotisme sont en cause : tant il est vrai, tout d’abord, qu’ils ont été les plus aisément compris et les plus universellement admirés parce que leur parole, sur un tel sujet, ne s’est trouvée nulle part étrangère. C’est une parole vraiment humaine, comme celle de l’amour lilial ou maternel. Partout identique malgré la dilTérence des temps, des lieux, des hommes et des langages, elle a éveillé, elle éveille encore partout les mêmes [lensées dans les esprits, les mêmes sentiments dans les cœurs, sans avoir jamais besoin d’être ex[iliquée, fût-ce aux derniers des ignorants : ils en saisissent tout le sens, et du premier coup, égaux en cela aux princes de la science.

Il n’est pas besoin d’être hcbraïsant ni versé dans l’archéologie biblique pour trouver, par exemple, dans le psaume cxxxvi, sur la captivité de Babylone, la même idée, le même amour de la patrie que dans nos propres âmes de Français. Tonte l’histoire des Juifs n’est qu’une longue épopée du patriotisme, depuis Gédéon, Samson ou Judith, jusqu’aux Macchabées et à la Dispersion linale. Ce qu’ils aimaient lainsi, c’était ce que nous aimons : un pays, des compatriotes ; et Racine, pour leur faire tenir, dans son Estherousoii Athalie, le langage même de leurs historiens et de leurs prophètes, n’a pas eu à s’abstraire de lui-même un seul instant. Le patriotisme tendre, prévenant, violent même parfois et toujours empreint de si douloureux regrets dans sa prophétique clairvoyance, que N. -S. Jésus-Christ manifeste à plusieurs reprises dans les Evangiles ; celui des Apôtres, si ardent, si prompt aux rêves de domination et de gloire pour leur peuple et leur Judée, trouvent un écho tout prêt dans nos coeurs. Comme nous aimons la France et, dans la France, notre Provence ou notre Bretagne, ainsi les anciens Juifs, les.p6tres, le Christ, aimaient

le doux pays de leurs aïeux,

Lei rives du Jourdain, les champs aimés des cieux,

la Terre Promise et donnée à leurs ancêtres, la Ville

sainte qui en était l’àme, l’étroit domaine de leur tribu (AJattli., xxiii, ’ij ; l.uc, xix, /|i et s.).

En Chine, que les provinces soient unies dans la soumission à un seul empereur ou divisées entre plusieurs souverainetés féodales, les Chinois, grands dévots à leurs ancêtres et aux Patrons de leur sol, se montrent toujours convaincus de leur supériorité sur toutes les nations de la terre. Leur patrie est, pour eux, le centre de l’univers, rKmpire du Milieu. S’agit-il de la défendre contre les Barbares Hioun-Nou ou contre les « diables d’occident « qui veulent en forcer l’entrée, de tout temps, chez cette race uiédiocrement belliqueuse, ceux qui meurent en accomplissant ce devoir sont honorés pour leur sacrilîce (WiEiiEn, [[i$t. des croyances rel. et des opinions phil. en Chine ; Paris, Challamel, 1317, p. 102, 135).

Chez eux, sans doute, comme chez les Egyptieits, les Hindous ou les Aralies, l’idée de patrie ne se dégage jamais bien nettement de celles d’Etat, de religion, de famille, de race. Tous ces liens divers restent plus ou moins confondus dans leur esprit ; mais ce sont brins du même câble : tordus et enchevêtrés ensemble dans le langage et la pensée des gens qu’ils iinissent et qui n’ont pas éprouvé, comme nous, par tempérament ou par occasion, le besoin de les démêler, ils y existent néanmoins, et tels ([ue nous les retrouvons, plus distincts mais non plus réels, dans notre pensée et noire langage.

Le mot de patrie est le même en grec, en latin, en français, et c’est la même chose qu’il désigne dans ces trois langues. Son sens n’a jamais varié depuis le temps du vieil Homère. Qu’est-ce donc, en elfet, que les héros de la guerre de Troie nommaient leur patrie, si ce n’est quelque chose de tout pareil à ce que nous appellerions la nôtre si, d’aventure, nous allions faire le siège de Tokio ? Et si, comme Ulysse, nous étions chassés par quelque divinité jalouse vers des rivages lointains sur les mers étrangères, où s’en iraient, en dépit de tout, nos désirs, nos regrets, nos rêves, si ce n’est vers notre Hellade et vers notre Ithaque ?

Plusieurs siècles après 1 Iliade et l’Odyssée, les grands tragiques d’.thèncs ne prêtent pas à leurs personnages, pour toucher les contemporains de Périclès, un langage différent de celui que Racine leur prêtera, deux mille ans plus tard, pour émouvoir les sujets de Louis XIV. Et quand l’Iiihigénie d’Euripide, par exemple, se déclare prête à mourir, ce n’est pas seulement, remarquons-le bien, pour Mycènes, sacité, sa petite patrie, mais pour la grande, outragée tout entière et tout entière arrêtée dans s, i vengeance.

Nous avons li^us gardé, de nos études classiques, le souvenir vivace des pages ardentes, enthousiastes ou désolées, que leur patriotisme inspira aux grands écrivains de la Grèce et deR( me : ’l’hucydide, Xénophon, Démosthène, Plutarqiie, l’ile-Live, Cicéron, Virgile, Ovide ou Tacite. Et, encore une fois, cette patrie aux douces campagnes dont le Mélibée des Bucrdiques s’éloigne avec tant de regret, qu’est-elle ? Rome, sans doute, la Rome que les Romains de l’histoire et ceux de Corneille aiment du même amour ; mais aussi l’Italie telle que la peuvent chérir de nos jours, au delà des Alpes, les plus ardents des patriotes. Quand le poète des Gêorgiques salue en elle le pays incomparable avec lequel ne peuvent rivaliser ni la Grèce ni l’Inde ni les terres semées d’or et parfumées d’encens, ne croirait-on pas entendre, chantée, il y a vingt siècles, par un barde de génie, la chanson bretonne d’aujourd’hui

Mon pays, c’est l’pus biau d’ia teirn Mon clocher, l’pus binu d’alentour !