Aller au contenu

Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/848

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1383
1684
PAUVRES (LES) ET L’ÉGLISE


pour la direction des hôpitaux que l’on songe aux religieux ; celle conception triomphe à Gonstantinople, au temps de saint Jean Chrysostome, même pour le soia des malades ; et le saint en arrive à choisir pour cette charge des infirmiers ci non engagés dans les liens du mariage » ; à Alexandrie, le code théodosien mentionne 600 inllrmiers, parabolani a dont le choix est laissé à la volonté du très vénéré prélat d’Alexandrie, sous les ordres duquelils devront agir ». Tout fait croire qu’ils formaient une sorte d’ordre religieux, ancêtre lointain de celui des Frères de saint Jean de Dieu (Lallemand, op. cit., II,

pp. l35-l42 ; ToLLEMER„0/). Cit., p. b’)')).

La fondation des hôpitaux par l’Eglise et leur administration par lesévêques est donc, après Constantin, du IV’au VI’siècle, la caractéristique principale du mouvement charitable inauguré par le christianisme. Dirigé par les évêques, aidé par les empereurs, ce mouvement aboutit, à la fin du vi’e siècle, à l’existence d’un grand nombre d’iiôpitaux dans toutes les divisions des territoires ecclésiastiques.

V. — Les Pauvres en Occident après les grandes invasions. — Les grands évêques français. — Les paroisses. — Les monastères. — C’est qu’en effet, malgré les bouleversements d’où sortirent les nouvelles nations de l’Europe, le rôle des évoques, loin de diminuer, n’avait fait que grandir du IV’au VIe siècle. Détenteur d’un pouvoir spirituel, devant lequel devait s’incliner même un Théodose, lorsqu’il trouvait devant lui un saint Ambroise pour lui reprocher ses crimes, l’évêque, par la force des choses, était devenu le vrai magistrat de la cité. Les édiles et les curiales, emportés par la tourmente au moment des invasions, avaient perdu en effet toute autorité, et le defensor civilatis, institué par Yalentinien en 365 en prévision de l’anarchie et de la ruée envahissante des Barbares, était si inférieur à sa tâche qu’il fut remplacé presque partout par l’évêque. D’instinct, le peuple se groupa autour de ses chefs spirituels, leur conféra la magistrature civile et dans beaucoup de cas en fit vraiment, authentiquement, par voie de suffrage, les défenseurs des tilés. Loin de s’être arrogé ce pouvoir, comme l’a prétendu Henri Martin, ils en furent souvent investis régulièrement par leurs concitoyens, et c’est en l’exerçant, en droit ou en fait, dans des circonstances souvent tragiques, qu’ils méritèrent la reconnaissance éternelle des peuples.

Avant tous les autres, nous devons un hommage spécial au saint le plus illustre et le plus populaire des Gaules, saint Martin, évêque de Tours (31 6-896). N’est-il pas le patron de plusieurs milliers de paroisses françaises (exactement 3.6^5), et sa renommée à l’étranger ne fut-elle pas universelle ? Soldat et simple catéchumène, il vit en moine, se distinguant par sa piété et sa charité envers les pauvres. Un jour d’hiver, aux portes d’Amiens, il aperçoit un mendiant demi-nu qui lui demande l’aumône. Déjà il a donné ses vêtements à d’autres malheureux ; il ne lui reste plus que sa chlamyde ; d’un coup d’épée, il la partage en deux, en donne une moitié au solliciteur grelottant, et garde l’autre moitié pour couvrir à grand’peine sa nudité. Il rentre ainsi en ville ;

« quelques-uns rient, mais d’autres, plus nombreux,

gémissent tout haut de n’avoir pas exercé la miséricorde, alors qu’ils l’eussent pu faire sans se mettre à nu », et de s’être laissés distancer par un soldat (SuLPicK SÉVÈRE, Vita Beaii Martini, ch. iii). Exemple fécond, à jamais mémorable ; la sculpture et la peinture l’ont immortalisé depuis seize siècles ; les âmes des petits enfants, en l’entendant raconter, y puisent encore aujourd’hui l’amour des pauvres

et la divine joie de l’aumône. « A la cathédrale de Bâle, sur la façade principale, saint Martin partage avec un pauvre la moitié de son manteau, qui n’était peut-être qu’une méchante couverture de laine, et qui, maintenant, transliguré par l’aumône, est en marbre, en granit, enjaspe, en porphjre, en velours, en satin, en pourpre, en drap d’argent, en brocart d’or, brodé en diamants et en perles, ciselé par Benvenuto, sculpté par Jean Goujon, peint par Raphaël » (Victor Hoqo, Le Rhin).

Moine et évêque, saint Martin ne fut pas moins charitable à Ligugé, à Tours et à Marmoutier que le soldat catéchumène ne l’avait été à Amiens ; plusieurs fois il donna sa tunique à de pauvres mendiants ; un jour entre autres, au moment de célébrer les saints mystères, en présence de la mauvaise volonté de son archidiacre de secourir promptement un homme qui souffrait du froid, l’évêque se dépouilla de sa tunique et eut recours à un pieux stratagème pour que cette action ne fut pas découverte. Mais Dieu se plut à glorifier son apôtre (Sulp. Sév., Dia looUS II, I, 2).

Ce serait omettre l’un des traits les plus importants de l’apostolat de saint Martin que de ne pas mentionner ses missions dans le centre, dans le midi et dans la Gaule septentrionale, et le zèle infatigable qu’il déploya dans la fondation de nombreuses paroisses rurales. Il fut un des premiers adeptes de cette idée féconde a qui devait produire dans l’Eglise une véritable révolution et dont l’application a tellement réussi que nous avons peine à nous figurer que la chrétienté ait jamais existé sans cet élément vital » (Lecoy dk la Marchk, Saint Martin, Mame, 2e édit., p. 20ï). Le christianisme, en effet, n’était pratiqué jusque-là que dans les cités ; les campagnes, toujours en retard sur les villes, étaient restées le boulevard du paganisme, comme l’indique le mot paganus, qui signifie à la fois paysan et païen. Martin, accompagné de son presbyterium ou collège ecclésiastique rurnl, auquel étaient adjoints des religieux de Marmoutier, parcourait le pays en détruisant les temples romains et gaulois et les vieux chênes druidiques ; sur leurs ruines, il bâtissait des églises, autour desquelles se groupaient les populations qu’il baptisait. Ainsi se créèrent les villages de France, très peu nombreux auparavant, les habitants des Gaules vivant jusque-là disséminés sur de grands domaines agricoles. Ainsi, par la multiplication des centres religieux, se transformèrent les solitudes de l’Empire et un jour se réveilla chrétien le vieux sol gaulois.

Avant de montrer quelle influence la création des paroisses rurales eut sur l’exercice et l’organisation de la charité, il est nécessaire d’ajouter au glorieux nom de saint Martin les noms de quelques saints évêques qui, pendant et après les grandes invasions, défendirent les pauvres et les opprimés et n’usèrent de leur pouvoir spirituel et de leur puissante influence que pour soutenir énergiquement la cause de la justice et de la charité.

Parmi eux, au v » siècle, saint Germain d’Auxerr » est peut-être le plus grand. Lui aussi prêche le christianisme partout, et jusqu’en Angleterre où il combat l’hérésie de Pelage. Il lave les pieds des pauvres, les sert à table, et sa vie si active, n’est qu’un jeune perpétuel. En se rendant en Grande-Bretagne avec saint Loup, il discerne à Nanterre la vocation de sainte Geneviève et consacre à Dieu celle qui plus tard sera la providence des Parisiens, qu’elle sauvera de la famine et des fureurs d’Attila. Digne fille spirituelle du saint évêque, elle est vraiment la mère des pauvres, et la vénération de tout un peuple escorte sa vieillesse.