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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/946

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1879

PENSÉE (LA LIBRE)

1880

ad 1"'") : 1° Si nous considérons rinlelligence par rapport à son objet propre, Vétie ou le vrai, dans son universalité, elle ne dépend pas de la volonté, qui ne pourra nullement lui dicter ses jugements à moins d’une immixtion condamnable, et c’est ainsi que nous devrons déclarer que la pensée n’est pas libre à proprement parler. Elle est nécessitée par son objet ; sa perlection est d’atteindre le vrai, d'être liée par lui. Elle ne le t’ait pas, elle le voit tel qu’il est. Arislote dit même : intrlligere est pâli i/uuddaiit. L’intellect qui i)(noreest la tahtilu rasii in qiiu niliil est scriptum ; sa perfection consistée abdiquer cet état d indétermination et d’indépendance pour se li.ter dans la vérité. Considérer le joug de la vérité comme des chaînes odieuses, c’est méconnaStre le mécanisme de l’intelligence et sa linalité, c’est comprendre la logique à la façon des Sophistes ou confondre le travail intellecluel avec le caprice du dilettante, ce serait la condiimnation irrémédiable de la raison, puisque son activité ne peut avoir d’autre linalité que de la débarrasser d’une liberté seule compatible avec l’ifinorance absolue.

a" Si maintenant nous considérons l’intelligence comme une chose déterminée, comme une puissance concrèle, alors elle tombe sous l’objet de la volonté qui se porte vers tout bien et qui peut désirer tel acte de la faculté intellectuelle : Aoilà comment l’exercice de la pensée est libre. Il ne le serait pas cependant si l’objet était actuellement présent et s’imposait à l’intellection, comme cela arrivera au ciel pour la vision béalilique.

Sauf ce cas exceptionnel, la pensée est libre dans son exercice, en ce sens qu’on peut penser ou ne pas penser, penser à telle chose ou s telle autre ; mais la pensée n’est pas libre par rapport à son olijet ; elle est nécessitée par le vrai et les lois de l’esprit. Une double nécessité, externe et interne, pèse sur nous : il ne faut pas s’en plaindre, c’est celle qui nous maintient dans la sphère de la vérité, comme la gravitation nous rattache à la planète où cous vivons.

Dès que l’objet n’est pas évident, l’esprit n’est pas nécessité et reste libre d’adhérer ou non ; voilà pour((uoi la volonté intervient : l’acte d’assentiment se nomme alors opinion ou croyance. Pascal l’a noté dans ses J’eiiaces : n La volonté estun des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance elle-même, mais parce que les choses sont vraies ou fausses selon la face paroùon les regarde. La volonté qui se plait à l’une plutôt qu'à l’autre détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas. L’esiirit, marchant d’une pièce avec la volonté, s’arrête à regarder la face qu’elle aime et juge d’après ce qu’il y voit. »

Voilà pourquoi la vraie liberté d’esprit suppose une volonté droite. Tous les philosophesl’ont remarqué, certains l’ont exagéré et sont allés au pragmatisme. 'I’aine disait : « Si la proposition du carré de l’hypoténuse pouvait changer quelquechose à notre vie. nous l’aurions réfutée bien vite. » C’est une boutade, parce que l’exemple choisi suppose l'évidence mathématique, mais l’assertion reste vraie lorsqu il s’agit seulement de certitude morale, voilà pourquoi Uenouvikk a i)u dire : c< L’amour de la vertu est la première condition de toute vraie philosophie » (Critique Plivosophitjue) et Ravaisson : o C’est de l’amour du vrai et du bien que jaillit toute science de l’ordre moral » (/, « Philusophie en France au XIJi' siècle), et plus poétiquement encore Mme i>o Stakl : « Sancliliez votre àme comme un temple, si vous voulez que l’ange de la vérité s’y montre. > Nous voilà loin de l’axiome cartésien : « On ne doit reconnaître pour vrai que ce qui paraît évidemment être tel, c’est-à-dire ce que l’esprit perçoit si claire ment et si distinctement qu’il lui est impossible de le révoquer en doute. »

A ceux qui se plaignent <iu’en matière doctrinale ou dogmatique le dogme gène notre liberté de pensée, Brunetikrb répond avec sa verve ordinaire {Discours de combat, t. Ill) : " Est-ce que, par hasard, nous serions libres en histoire de croire que César a ou n’a pas existé? Le sommes-nous d’expulser Alexandre de l’histoire de la Grèce ou denier l’existence de la grande muraille de Chine'.'… Nous ne sommes pas libres de croire que deux et deux fout cinq 1 ou, en d’autres termes encore, notre liberté de penser, la liberté de nous représenter les choses comme nous aimerions peut-être qu’elles le fussent, la liberté de nous les figurer autrement qu’elles ne sont, la liberté d’en.-ippeler du témoignage de la science acquise aux fantaisies de notre imagination ou de notre sens individuel, cette liberté n’est pas gênée seulement, elle nous est interdite, et si nous les revendiquions, c’est alors, comme dit Pascal, que nous serions purement et simplement des a sots ». En toutordre de choses, la liberté do penser estgênée, elle est empêchéeparla connaissance qucnousavons des conditions de la chose ou de sa nature. La vérité nous |)resse, elle nous contraint pour ainsi dire de toutes parts. Nous ne pouvons méconnaître ni son autorité ni l’obligation que cette autorité porte pour nous de nous y soumettre. Pour un chrétien, les dogmes de la religion ont exactement la même autorité que pour un savant les vérités fondamentales de la science ou pour un historien, [)Our un érudit, pour un cridqui', les faits avérés qui servent de base ou de support à ses généralisations. Nos dogmes… sont pour nous

« des vérités » : et comme les vérités de la science, 

<i CCS vérités » sont ou ne sont pas. »

Objection. — On distingue entre les vérités dont on possède l'évidence intrinsèque et les vérités, comme les dogmes, auxquelles on n’adhère qu’en raison d’une autorité. Ce sont celles-là qu’on déclarera opposées à la complète liberté de la pensée.

G. FoNsnoKivK (L’attitude des cathotii/ues devant la science, l.a Quinzaine, lômai 181j8) cite le principe équivoque de Dkscahtes : « Ne recevoir pour vrai que ce que l’on reconnaît évidemment être tel » et ClaL’dk Bernard : « La première condition que doit remplir un savant qui se livre à l’investigation des phénomènes naturels, c’est de conserver une certaine liberté d’esprit assise sur le doute philosophique… Si une idée se présente à nous, nous ne devons pas la repousserpar cela seul qu’ellen’estpas d’accord avec les conséquences logiques d’une théorie régnante », Introduction à ta médecine expérimentale, ch. II, n" 3, Paris, 1865, et ajoute : « Or le catholique ne peut donner son acquiescement à un doute qui porterait sur un article de foi. Lui est-il dés lors loisible de l’examiner librement'.' Alors même qu’il a l’air de les traiter rationnellement, qu’il essaie de les prouver, il est dominé par le préjugé, il sait d’avance où doit aboutir son raisonnement ; il ne saurait, sans forfaiture, le faire aboutir qu’ii la proposition dogniii tique, préalablement, et en dehors des voies rationnelles, reconnue pour vraie, allirmée comme certaine. Cet état de croyance antérieur aux démarches de la raison et avoué comme supérieur à ces démarches, ne peut que créer dans l’esprit une prévention qui conditionne y peu près infailliblement les démarches rationnelles, qui risque de les faire gauchir insensiblement, en sorte que la prétendue démonstration, au lieu d'être un produit pur de la logique et de la laison, laisse à peu près nécessairement pénétrer en elle des éléments psychologiques, plus ou moins volontaires, qui ne ])euventque l’altérer. " Et l’on ra|)pelle le concile du Vatican, sess. m.

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