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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 3.djvu/947

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PENSEE (LA MBIŒ ;

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cil. ii, can. 2 : « Si i|uelqu’iin dit que les sciences humaines doivent être traitées avec une liberté telle que leurs allinnations, alors même qu’elles s’opposent à la vérité révélée, peuvent être regardées couime vraies et ne peuvent être condamnées par l’Eglise, ([u’il s<jil auathème. »

Réponse. — U faut répondre avec le Concile que la raison et la foi ne peuvenl se contredire, car l’une et l’autre pi-ocèdenl d’une même source qui est la vérité éternelle. Avec Descartes, le catholicisme reconnaît que rien n’a le dioit d’entrer dans l’esprit de riioiunie sans que l’intellijfence ait eu des motifs raisonnables de l’accepter. L’autorité elle-même et la révélation et les dogmes doivent fournir leurs titres à l’acceptation, pour que cette acceptation soit légitime.

Si le danger existe pour le croyant d'être tenté de solliciter les faits en faveur de sa croyance, il devra lutter contre ce danger quand il voudra faire œuvre scientilique ou apologétique ; voulant olayer sa foi, il cherchera des arguments ayant une valeur par eux-mêmes, indépendamment de la conclusion qu’il espère en tirer. Il observera les règles les plus sévères de la logique pour éviter le cercle vicieux et pour ne pas être accusé de mettre frauduleusement dans les prémisses ce qu’il est tout Uer de retrouver dans la conclusion.

Que si l’on estimait ce travail impossible, je ferais remarquer que le libre penseur le plus sévère ne se prive point de faire des hypothèses ; l’hypothèse est non seulement légitime, elle est nécessaire poursuggérer un plan d’expérience ou une série de déductions qui doivent s’accorder ou non avec l’hj’pothèse et par conséquent la conlirrærou la faire rejeter. Or qu’est-ce que l’hypothèse, sinon l’acceptation préalable — momentanée et coiulilionnellr, c’est vrai — d’une assertion qui oriente la recherche en dirigeant l’observateur vers un l>ut ? Dans la mesure où il accepte l’hypothèse, le savant renonce sur ce point à sa liberté d’esprit ; renonciation bienfaisante, qui n’entrave nullement la rigueur de ses démonstrations ni la précision de ses expériences. Son travail Uni, son hypothèse deviendra certitude. Le croyant, dans ses recherches seientilîques, peut être guidé par les conclusions de sa foi, mais (lourra tout aussi bien faire oeuvre scientilique s’il se conforme à la méthode des sciences.

C’est ce que note avec justesse Oli.k-Laprunb (La philosophie de Malebranche, II, ]>. 251) : j Toute lihilosophie digne de ce nom doit tâcher d’atteindre les premières vérités. Mais il ne s’agit pas, dans cet examen et dans cet effort, d’isoler l’intelligence en elle-même, il ne s’agit pas de faire le vide autour d’elle : il y a des données incontestables qui s’acceptent et ne se discutent pas. U faut savoir mépriser les attaques du scepticisme et creuser el approfondir les vérités essentielles, au lieu do recommencer sans cesse à les disputer au doute. Kniin, si l’on a la croj’ance chrétienne dans le cœur, ne serait-ce pas une chose par trop étrange qu’il fallut, pour pratiquer dans sa rigueur la méthode philosophique, rejeter cette intime certitude, éteindre ces lumières, se priver de ses secours ? Non, encore une fois, la philosophie n’est pas à ce prix. Se proposer de voir clair dans ses idées, de conduire ses pensées par ordre, de saisir le point de départ de la connaissance, puis s’avancer méthodiquement dans l’explication des choses, cela suffit ; il n’est pas besoin pour cela de rien ébranler, ni raison ni foi. » C’est pourquoi, dans sa Notice sur Ollé-f.aprune, M. Blondcl, après avoir montré que, chez ce penseur, la recherche critique lie se séparait jamais de la possession sereine, peut ajouter : c Dira-t-on que c’est une étroitesse de n’avoir

I>as expérimenté les états les plus divers ? qu’on ne peut bien voir sans avoir commencé par fermer les juux ? qu’on gagne pleinement ce qu’on a ignoré ou perdu'? Non, pour recevoir toutes les leçons de la vérité, aimée et possédée sans déclin dans la lumière, il faut ignorer les soutfrances et les levons du doute foncier ; pour conserver toute la limpidité d’esprit, il est nécessaire de demeurer inaccessible à certains orages de la pensée. L’absence de trouble, quand elle s’allie d’ailleurs à la connaissance de-i diflicultés et à l’elVort intense de la méditation, est marque, non de faiblesse, mais de force supérieure ; c’est du temps gagné, c’est de l'énergie épargnée jiour aller plus avant, sans recul ni stérile hésitation, n

D’autant plus que le croyant peut, dans ses recherches, employer le doute méthodique. Cf. Montaonb, Le doute méthodique selon.S. J’homas d’Aijuut, Itevue y’AoHiJi/e, juillet igio Ahistote, au début du troisième livre de la Métaphysique, dit : Volentibus iufestigare i’erilalem opoitet piæ opei-e, id est unie opus, heiie diibiture. U ne s’agit pas là d’une question particulière, mais d’un doule universel sur la vérité même. Aussi le doute n’est ni réel, ni jiositif. C’est un loyal essai de doute universel, mais cet essai n’aboutit pas quand il s’agit des vérités évidentes, soit d’ordre rationnel, soil d’ordre expérimental, qui s’imposent nécessairement à l’esprit.

(Juand il s’agit, au contraire, de vérités qui ne sont pas évidentes, le croyant peut en douter par méthode, c’est-à-dire raisonner ooiunie s’il ne possédait pas déjà cette vérité et qu’il voulût l’acquérir. Ainsi fait S. Thomas quand il pose cettequestion : An sit iJeus ? Et il traitera cette question avec une entière liberté d’esprit. Cf. Jbanmèrr, friteriotogia, Paris, 1904, p. io4, et B. Allo, Quelquesmcts sur la liberté scieiiti/iijue. Jley. du cl. fiançais, 15 janvier 1912.

Conclusion. — Le but des investigations dont on revendiquela liberté, c’est la constitutionscientilique de la pensée. Or la pensée, une fois scientiliquement constituée, possède tous les caractères, excepté celui de la libellé. Une pensée libre est une pensée à l'état naissant, encore llotlante jiarce qu’elle est imprécise el vague, parce qu’elle manque de ce qui la fait être précisément à titre de pensée, c’est-à-dire, de ses propres déterminations internes. Comme l’a si justement remarqué Augostb Comte, dès qu’il y a science, il ne saurait plus y avoir de liberté dépensée. La seule pensée que l’on puisse appeler libre, est celle qui va exister peut-être, mais n’existe pas encore. Le libre penseur, c’est celui qui ne pense pas.

La pensée, en s’exerçant, aliène forcément sa liberté de penser le contraire de ce qu’elle affirme. D’ailleurs, c’est là quelque chose d’intérieur à chacun de nous, sur quoi nos voisins n’ont aucune prise, ce qui fait dire à de Bonald : <i On a réclamé la liberté de penser, ce qui est un peu plus absurde que si l’on eut réclamé la liberté de la circulation du sang. En elfel, le tyran le plus capricieux, comme le monarque le plus absolu, ne peuvent pas plus porter atteinteà l’une qu'à l’autre de ces libertés ; el Dieu lui-même, qui laisse les hommes penser de lui ce qu’il leur plall, ne pourrait gêner la liberté de penser sans dénaturer l’homme, et ôler à ses déterminations la liberté de mériter et de démériter. Mais ce que les sophistes aiipeiaient la liberté de penser était la liberté de penser tout haut ; c’est-à-ilirg de publier ses pensées par les discours ou par l’impression et par conséquent de combattre les pensées des autres. Or parler ou écrire sont des actions, et même les plus importantes de toutes, cher une nation civilisée. La liberté de penser n'était donc que la liberté d’agir. » Re/lexions sur la tolérance des opinions, éd. Migne, 1869, t. III, p. 501.