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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/12

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PERSECUTIONS

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C’est l’impression que laisse l'étude des mémoires apologétiques composés par Aristide, Justin, Athéuagore, Théophile, Méliton, Apollinaire : on y démêle non seulement le respect de sujets loyaux pour la constitution de leur pays, mais unesortede tendresse pour l’Empire. Un seul fait entendre une note discordante : c’est l’Assyrien Tatien, qui devait iinir en hérétique. M. Bouché -Leclercq s’arrête plus que de raison à ce dissident, qui tranche sur l’unanimité desaulres.etqui s'écarte de la tradition catholique. Un peu après lesvntonins, les successeurs des premiers apologistes fontenlendre un langage semblable au leur : Irénée se félicite d'être né au temps de la paix romaine, et, moins intransigeant dans sa phase orthodoxe qu’il ne le deviendra plus tard, Tertullien insiste sur l’union des chrétien s a’vec les autres citoyens, sur leur acceptation de toutes les charges publiques, et sur leur attachement à cet Empire, dont l’existence lui paraît lice à celle du genre humain.

Quand on a lu tous ces écrits, on se demande ce que veut dire cette phrase de M. Bouché-Leclercq : « Ils (les apologistes) semblent à peine soupçonner où gît pour le gouvernement le nœud de la question, et que le conflit n’est pas entre le christianisme et l’hellénisme, mais entre le christianisme et l’Etat, gardien de la paix publique. » (p. 376) La vérité, c’est qu’ils s’efforcent de démontrer, et, je crois, démontrent jusqu'à l'évidence que « le conflit » n’existe pas. Rien, ni dans les paroles, ni dans les faits, ne marque « l’incompatibilité », « l’antagonisme » que reconnaît M. Bouché-Leclercq entre l’existence de gens animés des sentiments qu’on vient de voir et la sécurité des institution romaines. Les chrétiens se réservent un seul droit, celui d’adorer leur Dieu, de ne pas adorer des dieux auxquels ils ne croient pas, et de remplacer le culte que les païens rendent à la divinité impériale par de ferventes prières (dont le texte a été conservé) pour le salut et la prospérité des empereurs. Est-ce là de l’intolérance religieuse ? Le champ de la liberté de conscience serait alors fort étroit, Dira-t-on même que les chrétiens répandent le trouble autour d’eux par les insultes qu’ils prodiguent à la religion de l’Etat ? Un de leurs principaux docteurs, Origène, défend d’insulter les dieux, et rappelle que les Apôtres ne les ont jamais insultes. Conséquente avec ces principes, l’Eglise refuse le titre de martyr au fidèle mis à mort pour avoir outragé ou renversé une idole'. Si parfois, dans la polémique, des traits piquants ontété lancés contre la mythologie, il faut se souvenir que les chrétiens, en parlant ainsi.se défendent plutôt qu’ils n’attaquent : et les railleries de certains d’entre eux ne dépassent pas celles que la société païenne applaudissait au théâtre ou lisait en souriant dans les dialogues de Lucien. M. Bouché-Leclercq a d’ailleurs reconnu le droit de cette polémique, en disant, dans la phase citée plus haut, que « le conflit n’est pas entre le christianisme et l’hellénisme ». Je cherche vainement où il est, et d’où provient l’impossibilité pour l’Etat de laisser vivre les chrétiens.

IL Considérations secondaires. — On se rejette, pour l'établir, sur des considérations secondaires, et absolument sans valeur. D’abord, le refus par les chrétiens du service militaire. La vérité, c’estque

1. Cette discipline de la primitive Kglife s’est continuée dans Us temps modernes. Saint Vincent de Paul recommande aux prêtres lazaristes envoyés en terre barbaresque de « ne rien dire pour en mépriser la religion ». Le Saint-Siège « vait interdit à tous les chrétiens, clercs ou laïques, de provoquer les musulmans à discussion, et refusait le titre de martyr à ceux qui s’attireraient la mort en parlant contre Mahomet.

les réfractaires sont, pannieux.en très petit nombre. L’antimilitarisme n’est ni de la doctrine ni de la pratique des Eglises primitives. En règle générale, les chrétiens font comme les autres leur devoir sous les drapeaux de Rome, et, là comme ailleurs, refusent seulement de faire acte d’idolâtrie. C’est pour avoir, à tort ou à raison, considéré comme un acte de cette nature le port d’une couronne, que le soldat célébré dans un traité de Tbrtullibn s’est séparé de ses camarades chrétiens, qui en avaient jugé autrement. Extrêmement rares sont ceux à qui un scrupule de conscience a fait préférer la mort au service militaire. « Nous combattons avec vous », écrit Tertullien lui-même, s’adressant aux païens ; et il ajoute : « Nous remplissons les camps. » M. BouchéLeclercq dit à ce propos : « Il semble bien que le mot castra Ggure dans rémunération, parce que son absence serait trop significative. » (p. 288) Mais sa présence aussi est « significative » sous la plume de Tertullien. La dernière persécution commence par la mise en demeure de sacrifier ou d’abandonner le service, adressée aux soldats et aux olliciers chrétiens des armées romaines. Ajoutons que les passages d’ORioÈNB (Contra Celsum, VIII, vu) et de C1.BMBNT d Alexandrie (/'aerfag'., III, n), qui les ont fait prendre pour des adversaires systématiques du service militaire, n’ont pas cette poijée. (Voir Hevistastoricucrilica discienze leologiche, io, o5, p.54a-545.) Un mot de Clément d’Alexandrie dans un autre ouvrage, Protrepticus, x, 100, le montre acceptant pour le chrétien le métier des armes. On chercherait vainement, d’ailleurs, un texte des Livres saints condamnant celui-ci : Jésus-Christ, dans l’Evangile, saint Pierre, dans les Actes des apôtres, nous sont montrés en relations affectueuses avec des officiers de l’armée romaine, et la seule recommandation adressée parle précurseur Jean-Baplisteà des soldats est celle-ci : se contenter de leur solde et ne pas pressurer le peuple.

Dans cet article, où je suis obligé de courir vite, je n’ai pu qu’indiquer quelques faits : on pourrait en citer une multitude d’autres, qui déposent dans le même sens. Voir à ce sujet, dans ce dictionnaire, t. III, col. 356, de l’article Martyrs. Mais le peu que je viens de dire fera juger peut-être assez surprenante cette phrase de M. Bouché-Leclercq : « Il parut aux empereurs romains que les chrétiens s’attaquaientau principe même de l’autorité, etqu’ils méritaient les épithètes modernes d’antipatriotes, antimilitaristes, résumées danscelle d’anarchistes », p. 355. Il ajoute, avec une intention que je ne comprends pas : « Ce n’est pas à l’Eglise à le leur reprocher. » Je n’ai pas qualité pour parler au nom de l’Eglise ; mais j’essaie de parler au nom de l’histoire, et il me semble qu’elle a, elle, à reprocher aux empereurs romains une aussi grossière et aussi inexplicable erreur.

Une autre accusation dirigée par M. BouchéLeclercq contre la société chrétienne, et celle-là tout à fait paradoxale, est d’avoir désorganisé la famille. On l’accuse démettre la virginité au-dessus du mariage, et peu s’en faut, s’appuyant sur des Actes apocryphes et de basse époque, qu’on ne lui reproche de mépriser le mariage. Je ne crois pas que l’on ait jamais parlé du mariage avec autant d'éloquence et de respect que le fait saint Paul dans le chapitre v de sa lettre aux Ephésiens. Le rendant indissoluble, et condamnant le divorce, le christianisme lui a donné une solidité inconnue du monde païen. L'élevant à la dignité de sacrement — sacramentum hoc magnum est, ego dico in Christo et in Ecclesia (Ef>h., y, 3a) —, le christianisme a fait une chose sainte de ce qui était avant lui une chose purement