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PROPHÉTISME ISRAÉLITE

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ses sont épuisées, il reste toujours la ressource de contester l’historicité du récit.

(/) Rien de plus intéressant que les effortsde Kuenen pour venir à bout des remarquables prophéties d’Eicchiel sur Sédécias(A* ;., xii, 3-13etxvn, 15-ao). Il juge d’abord a extrèmementsingulier » que Dieu ait laissé ignorer au prophète des choses importantes, comme la conquête de Tyr par Nabuchodonosor, et lui ait révélé des détails comme le fait que Sédécias gérait privé de la vue (p. 3a4). Cette raison a priori ne suffisant pas, il déclare qu’alors même qu’il n’en trouverait point d’autre, il ne pourrait pourtant pas attribuer ces prédictions à urne révélation surnaturelle, t Nous serions plutôt obligés, dit-il, de les ranger dans la catégorie de ces phénomènes cnigmatiques qu’on nomme « pressentiment » et « vision magnétique » (p. 3a5). En lin de compte, il n’imagine rien de mieux que de chicaner longuement sur la date de ces chapitres et de conclure à l’hypothèse des vaticinia post eventum (p. 3a6-330).

Ces exemples suffisent pour montrer dans quel esprit a été conduite la vaste enquête du savant critique hollandais. Il admettra tout, plutôt que la révélation ; mais il a le sentiment de ce qu’il convient de révéler. Dieu ne doit pas révéler trop de détails ; et cependant lui, Kuenen, s’empare des détails de la mise en scène poétique d’une prophétie et en exige l’accomplissement. Sans trop de peine, les prophéties qu’il croit prendre en défaut sont reçues par lui pour authentiques ; celles qui paraissent réalisées sont facilement tenues pour composées, ou tout au moins remaniées, complétées après l’événement. Son interprétation crée un nouveau mystère : comment le peuple, si souvent trompé, a-t-ilpieusement conservé ces faux oracles à titre de révélation divine ?

6- — Enfin, plusieurs protestants ne rejettent pas la révélation surnaturelle, mais ils la jugent compatible avec l’erreur. M. Ch. Bhuston exposait cette théorie dans l’Encyclopédie des Sciences religieuses, publiée sous la direction de F. Lichten berger :

« Entre les deux théories opposées du prophétisme

qui ont été jusqu’ici en présence et dont l’une dit : Inspires, donc infaillibles, tandis que l’autre dit : Faillibles, donc non inspirés, nous en concevons une autre, plus conforme aux faits, et qui se résume ainsi : Inspirés, mais faillibles ; faillibles et pourtant inspirés. Nous n’admettons pas le dilemme dans lequel l’ancien supranaturalisme et le rationalisme, d’accord sur ce point, voudraient nous enfermer » (Art. * Prophétisme », t. X, p. 774)- — Cette conception monstrueuse, d’un Dieu qui intervient directement et miraculeusement pour tromper ses créatures, suppose une altération profonde des notions de surnaturel, révélation, inspiration, avec des principes philosophiques archaïques. Un exégète allemand bien connu, Cornill, développe la même idée dans son commentaire de Jérémie (p. 86). Il prétend que les écrits prophétiques contiennent des oracles non réalisés, et cela au su de leurs auteurs, qui auraient pu facilement a casser » ces oracles ou les modifier. Ils ne l’ont pas fait, dit Cornill : « Ce qu’ils avaient dit était la parole de Iabvé, non leur parole humaine : si cela ne s’accomplissait pas, leur honneur personnel n’était pas en jeu. Conscients d’avoir dit ce que lahvé leur avait révélé et comme lahvé le leur avait révélé, ils pouvaient s’en rapporter tranquillement à lui pour le résultat. » — Singulier désintéressement de l’interprète de lahvé, qui se tient tranquille dès que son honneur n’est pas en jeu, sans se soucier de l’honneur de lahvé ! Admirable logique du prophète légitime, qui s’indigne contre les mensonges des faux prophètes, et qui prononce, aussi bien qu’eux, de faux oracles !

VI. — Les divers modes de la révélation divine

Dieu a parlé par l’intermédiaire des prophètes

« à plusieurs reprises et en diverses manières », 

r.’./juïp&i xa< miurpalruf : ce sont les premiers mots de YF.pitre aux Hébreux. Les prophète ! indiquent assez souvent d’un mot la communication divine dont ils sont favorisés ; mais en général ils ne la décrivent pas. Avec ces données vagues ou incomplètes, partir des apparences extérieures d’une manifestation religieuse, pour la juger aussitôt en la comparant aux phénomènes analogues d’autres religions essentiellement différentes, au lieu d’en rechercher d’abord le principe, l’àme, le sens profond, c’est une méthode très répandue, mais aussi peu scientifique que possible. « Avant tout, remarque justement le P. Lakkakuh, nous demandons qu’on n’attache pas trop d’importance aux mots, ni même à l’aspect extérieur des choses. C’est surtout lorsqu’il s’agit de religion qu’il importe de déterminer le principe intérieur qui règle les usages et qui seul fait leur valeur » (Eludes sur les licligions sémitiques, æ éd. 1905, p. 146). « Les virtuoses de l’histoire comparée des religions… concluent avec audace d’un rapprochement à une identité, d’une ressemblance lointaine à une dépendance historique. Sans tenir compte des dissemblances, des divergences profondes, qui existent souvent dans la lettre, presque toujours dans l’esprit… etc. >. (>’. L. dr Grandmaison, dans Christus, 1916 (10e mille) p. 35). C’est le vice radical d’un grand travail intitulé Die Pro/cten. l’nlcrsuchungen zur Religionsgcschichte /sræls, von Gustav Holschur, Leipzig, 1914* L’auteur commence par étudier les différentes formes d’extase, les hallucinations, le sommeil, le rêve, la suggestion, l’hypnose, la sorcellerie, la divination dans la mantique païenne, chez les Arabes, les Syriens, etc. ; et il se croit admirablement préparé à comprendre les prophètes d’Israël. Il n’oublie qu’un point, c’est de traiter cette question capitale : la prétention de transmettre aux autres hommes les volontés divines s’est elle trouvée justifiée partout, ou nulle part, ou chez un peuple à l’exclusion des autres ? Est-ce le vrai Dieu qui se manifeste aux prophètes bibliques, ou ceux-ci n’ont-ils rien qui les distingue essentiellement des prophètes de Baal et des devins babyloniens ? Là est le problème vraiment intéressant ; en le laissant de côté, on s’amusera peut-être à collectionner des textes et à les juxtaposer, mais on n’a rien compris à l’œuvre des Prophètes.

Une fois admis le fait de la révélation, si l’on veut se rendre compte de la manière dont Dieu s’est révélé, il ne sert de rien d’étudier les grossières contrefaçons de la prophétie ; niais on peut faire appel à l’expérience des saints, favorisés eux aussi de communications divines. Dieu et la nature humaine n’ont pas changé ni, dans ses caractères essentiels, leur commerce intime d’ordre surnaturel. Seulement il faut noter avec soin que, dans un cas, il s’agit de révélations universelles et, dans l’autre, le plus souvent, de révélations particulières. En celles-ci l’erreur peut se glisser de bien des manières : pendant la vision, lorsque l’imagination, la mémoire, l’intelligence mêlent leur action propre à l’action divine : après, lorsque le voyant interprète mal, par exemple, le sens d’une vision symbolique, ou s’il n’exprime pas exactement ce qu’il a vii, soit en précisant ce qui restait indéterminé, soit faute de trouver les termes convenables pour traduire des idées au-dessus de tout langage humain. (Cf. Auc. Poulain. Des Grâces d’Oraison, 10’éd., igaa, cii, xxi. « Illusions à craindre »).

Mais quand il s’agit d’une révélation universelle,