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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/46

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POSSESSION DIABOLIQUE

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mais qu’on ne nous paie pas de mots, tels que suggestion, clairvoyance, double vue, action à distance, qui n’expliquent rien ; qu’on ne vienne pas non plus objecter une vague analogie avec des faits, étranges il est vrai, mais explicables naturellement, tels qu’on en observe dans le somnambulisme artificiel. Il s’agit ici de faits bien précis, et nous demandons une explication nette et précise. Non, pour tout homme sérieux et loyal, il n’y a pas de milieu ; ou bien il faut attribuer ces manifestations opposées aux lois de la nature et ces phénomènes de l’ordre spirituel à un agent préternaturel, à un agent intellectuel, en dehors du possédé et du monde visible, ou bienil faut nier catégoriquement le fait. Mais, si l’on est de bonne foi, on ne peut pas nier des faits historiques aussi bien constatés, et par conséquent l’on doit admettre notre explication ou avouer du moins son impuissance.

Voici maintenant deux exemples de possédés délivrés par les Saints. MM. Gharcot et Richer mentionnent une fresque d’André del Sarte représentant saint Philippe de Néri délivrant une possédée. Nousavons signalé ailleurs, à ce propos, une distraction historique des auteurs ; c’est sans doute saint Philippe Bénizi qu’il faut lire. Cependant nous pouvons donner des exemples de possédés délivrés par saint Philippe de Néri : nous le faisons d’autant plus volontiers que ce saint, comme tous les autres du reste, n’était pas intéressé du tout à trouver partout des possédés ; ses biographes nous rapportent spécialement de lui, qu’il n’aimait pas exorciser, qu’il disait qu’on devrait être bien sur ses gardes en cette matière, qu’il examinait de près les prétendus énergumènes et rapportait souvent leur mal à des causes naturelles et morbides, telles que la mélancolie, l’affaiblissementdu cerveau, et chez les femmes à une imagination surexcitée, à une affection de l’utérus, ou bien à d’autres infirmités du corps ou de l’esprit ; souvent aussi il attribuait le mal à la supercherie et à la malice des femmes. Ce sont à peu près les paroles môme de ses biographes. (Acia Sanctorum Maii, tom.VI, p. 491, n.ioo, etp. 609)

Parmi plusieurs guérisons de démoniaques, plutôt opérées par miracle que par les exorcismes, et qui sont rapportées, nous nesignalerons que le cas d’une femme noble, nommée Catherine. Celle-ci, n’ayant pas fait d’études, parlait le latin et le grec à merveille, comme un humaniste ; et quatre hommes des plus robustes avaient peine à lalever et à la retenir. Saint Philippe la battit d’abord avec des chaînettes, etpendantcetempsle démon criait : « Frappe, frappe toujours, et tue », et la possédée était comme clouée au sol et immobile comme une statue de marbre. Chaque fois que le saint donnait ordre de l’amener, elle pressentait la chose, même à longue distance, et disait : Voilà que ce prêtre m’appelle. Et ensuite elle se sauvait, et ne pouvait être ramenée que par violence. Enfin, quand saint Philippe eut sans doute assez éprouvé la vérité de la possession et assez prémuni les assistants contre l’idée de supercherie et contre la crédulité, il négligea les exorcismes et la délivra en un instant par la prière.

L’un des biographes du saint et son disciple, Antoine Gallonius, publia sa vie cinq ans après sa mort. Il ajoute en note, au récit que nous venons de reproduire d’après lui et d’après Jérôme Barnabœus, qu’il tient toute cette histoire des disciples qui suivaient le saint en ce temps-là, parmi lesquels se trouve le cardinal Taurusius.

Parmi toutes les œuvres d’art que MM. Charcot et Richer énumèrent dans les Démoniaques dans l’art, rien n’est plus éloquent en leur faveur que les tableaux de Rubens, représentant saint Ignace qui

délivre les possédés. Il faut donc bien donner aussi un exemple de possédé guéri par saint Ignace.

Observons cependant que les tableaux reproduits par MM. Charcot et Richer ne représentent pas du tout des scènes réelles, mais sont des compositions de l’artistequigroupe dans un seul tableau plusieurs faits distincts, et veut ainsi représenter d’un trait le don des miracles de saint Ignace et sa puissance auprès de Dieu. Ainsi les miracles des enfants ressuscites, de l’enfant muet guéri et tous les autres qui ont pour objet des enfants, se sont passés après la mort du saint, par son intercession. Les possédés délivrés ne l’ont pas été pendant une « interruption du service divin », comme semblent le dire MM. Charcot et Richer. Tout cela est de la mise en scène imaginée par le peintre. Nous renvoyons ces savants docteurs aux Bollandistes. D’ailleurs, nous n’avons trouvé qu’un seul exemple d’énergumène proprement dit, délivré par saint Ignace pendant sa vie, et c’est celui que nous rapporterons, d’après le P. Ribadeneira, contemporain et disciple favori de saint Ignace.

Il s’agit d’un jeune homme, originaire de la province de Cantabre en Espagne, nommé Matthieu, que le P. Ribadeneira connut très familièrement avant et après sa guérison, et qui entra ensuite chez les Camaldules sous le nom de frère Basile, où il vivait encore quand le P. Ribadeneira écrivit cette vie de saint Ignace.

Il fut saisi de son mal en l’année 1541. Il était violemment jeté à terre, et, couché, à peine huit ou dix hommes robustes pouvaient le changer de place. Il n’avait aucune instruction, et ne parlait que sa langue maternelle, et cependant, dans ses accès, il parlait très couramment et savamment différentes langues. De plus, une tumeur se produisait d’abord à la figure, et disparaissait aussitôt par le signe de la croix qu’y appliquai t le prêtre, pour reparaître incontinent plus bas à la gorge, et puis à la poitrine, à l’estomac, et toujours plus bas. Ce jeune homme donc, ajoute le P. Ribadeneira, quej’ai observé plusieurs fois pendant ses crises, ou plutôt, le démon qui était en lui, nous entendant dire qu’Ignace rentrerait bientôt à la maison et allait chasser le démon, se mit dans une grande agitation et cria : « Ne me parlez pas d’Ignace, c’est mon plus grand ennemi, l’ennemi le plusacharné de tous. » Saint Ignace rentre, apprend ce qui se passe, prend à part Mathieu : ce qu’il dit ou ce qu’il lit, je n’en sais rien, mais aussitôt le jeune homme fut rendu à lui-même, et délivré de la tyrannie du démon. (Acta Sanctorum Julii, t. VIII, page 761, n.7 1 6)

Que Rubens ait donné à ses démoniaques les signes corporels de l’hystérie, que son pinceau ait réussi à reproduire exactement les traits que la plume de M. Charcot devait décrire deux siècles plus tard, cela estindifférent.pour la question qui nous occupe. L’hystérie n’exclut pas la possession. Tout au plus pourra-t-on dire que Rubens a moins bien observe la vérité historique, en représentant ainsi les possédés délivrés par saint Ignace. Que Rubens n’ait donné pour seul signe de possession que le type hystérique, cela n’est pas exact, puisque, dans le tableau de Vienne, il peint les démons qui s’enfuient dans la nef del’église. Etn’eùt-il représenté que des malades, encore restait-il dans son plan, qui était démontrer la puissance miraculeuse de saint Ignace. A la Salpètrière, on fait beaucoup d’expériences, on soulage les malades, rarement on les guéritradicalement et plus rarement d’une manière instantanée ; il ne

isullit certes pas d’un signe de croix ou ed’un geste hiératique ». Mais là n’est pas la question ; il s’agit de savoir si les possédés délivrés par saint Ignace