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SAINT-OFFICE

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Gardons-nous d’expliquer celle politique par le désir de modérer les rigueurs de l’Inquisition ou de rendre plus libres les consciences. Ces sentiments étaient étrangers à un roi qui ne recula jamais devant la brutalité quand il la crut utile à son gouvernement et qui d’autre part était, non moins que son aïeul Saint-Louis, le défenseur zélé de l’orthodoxie catholique. Ce qui le prouve, c’est que, à plusieurs reprises, il manda à son sénéchal de Garcassonne et au vicomte de Narbonne de prendre des mesures de rigueur contre les Juifs (Bibl. Nat., fonds Doat., t. XXXII, fol. 85-8<j, 254-357). En 1306 il fit arrêter et jeter hors du royaume tous les Juifs, menaçant de mort ceux d’entre eux qui y rentreraient ; en 1304, il fortifia la puissance de l’Inquisition (Vaissktb. Histoire du Languedoc, t. X, col. /|28-431), et proscrivit comme séditieuse toute ligue formée contre les inquisiteurs (Bibl. Nat..fonds Doat, t. XXXIV, fol. 81-82, 109-1 1 1).

Le pape Boniface VIII comprit l'étendue de cette mainmise du pouvoir royal.sur l’Inquisition ; et pour montrer à quel point il la repoussait, il ordonna, en octobre 1297, à l’Inquisiteur de Carcassonne d’entamer des poursuites pour crime d’hérésie contre plusieurs fonctionnaires royaux de Béziers ; ainsi le conflit qui mettait aux prises le pape et le roi au sujet de la levée des décimes se compliquait d’un autre conflit au sujet de l’Inquisition.

Il sembla se calmer l’année suivante : pour prix de certaines concessions pontificales dans le domaine politique et Oscal, Philippe le Bel renonça à ses empiétements sur l’Inquisition. Dans le sixième livre qu’il ajouta, le 3 mars 1298, au Corpus Juris Canonici, Boniface VIII réclama comme un droit absolu de l’Eglise de requérir le concours sans condition des fonctionnaires séculiers à l’action inquisitoriale, et loin de protester contre cette prétention, le roi ordonna à ses officiers de respecter scrupuleusement ce canon (5 septembre 1298) (Bibl. nat., fonds Doat, t. XXXII, fol. 280-281. Autre lettre dans le même sens du 15 septembre 1298, Ibid., fol. 278-279).

Ces faits et d’autres qui se produisirent en 1301 et 1302 nous prouvent qu’en Languedoc et même dans tout le reste de la France, la question de l’Inquisition varia selon les péripéties de la lutte engagée entre Boniface VIII et Philippe le Bel. Lorsque le roi avait intérêt à ménager le pape, il ordonnait à ses agents de respecter scrupuleusement la décrétale pontificale du Sexte et de se mettre à la disposition du Saint-Office ; lorsqu’au contraire la querelle se ravivait, il allirmait hautement la suprématie du pouvoir royal sur l’Inquisition.

L'échec de Boniface VIII, suivi de près de l'élection d’un pape, Clément V, client du roi de France, ht perdre à l’Inquisition toute indépendance. Le premier, semble-t-il, Philippe le Bel eut l’idée d’utiliser ce tribunal contre tous ceux dont la perte était nécessaire à sa politique, en les représentant à l’opinion publique comme des ennemis de la religion et de la morale. Désormais, beaucoup de procédures et de sentences inquisitoriales, sous une apparence religieuse, furent essentiellement politiques.

Tel fut le cas du procès des Templiers. Ce n’est pas le cas de le raconter ; qu’il nous suffise de marquer qu’il fut poursuivi par l’Inquisition, sur l’ordre du roi et malgré le Saint-Siège.

Celui qui l’engagea fut le dominicain Guillaume de Paris, qui cumulait les fonctions de confesseur de Philippe le Bel avec celles d’inquisiteur général du royaume. « Trop disposé peut-être à seconder les intentions de son royal pénitent, le grand

inquisiteur se montra, clans cette occasion, l’homme du roi plus que le ministre du Saint-Siège dont il tenait ses pouvoirs ; et sans attendre l’autorisation du pape, il se mit aussitôt à l'œuvre. » (Fklix Lajard, Guillaume de Paris, dans l’Histoire littéraire de la France, t. XXVII, p. 14 >.

Par une circulaire datée du aa septembre 1307, il mandait aux inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne, ses subordonnés, ainsi qu’aux prieurs, sousprieurs et lecteurs de tous les couvents dominicains de France, d’interroger les Templiers sur tous les crimes dont ils étaient accusés et de recueillir les dépositions des témoins qu’ils jugeraient utile d’interroger.

Lui-même ht plusieurs informations à Troyes, Bayeux, Cæn, Paris et au Temple ; du 19 octobre au 24 novembre 1307, il interrogea 138 Templiers (Voir la procédure, dans les Actes du Procès des Templiers, publiés par Michelet dans la Collection des documents inédits de l’histoire de France.

Plus encore que Guillaume de Paris, le directeur de toute cette affaire était le petit-Gls de l’un de ces hérétiques, que cette même Inquisition avait condamnés, en Languedoc, cinquante ans auparavant, de l’homme qui, en organisant l’attentat d’Anagni, avait porté un si rude coup à la papauté, du légiste enfin qui exaltait, en combattant le droit canon, le pouvoir monarchique, Guillaume de Nogaret.

Ce fut en effet pour la mener énergiquement et sans scrupules, au profil du roi, qu’il avait reçu la garde du sceau royal, le 22 septembre 1307 ; et ce fut au lendemain de sa nomination que fut décidée par Philippe le Bel l’arrestation de tous les chevaliers du Temple (Renan, Guillaume de Nogaret, dans Y Histoire littéraire de la France, t. XXXVII, p. 290). Sous l’impulsion d’un tel homme, les inquisiteurs firent preuve d’un zèle inoui, au service du roi, contre les Templiers. (C11.-V. Langlois, Le procès des Templiers, dans la Revue des DeuxMondes, 1891, pp. ! o-toi).

Le légiste Pierre Du Bois semble même avoir eu l’idée de faire porter sur tous les biens ecclésiastiques, jusque sur ceux du pape, la sentence de confiscation qui se préparait contre le patrimoine des Templiers ; c’est Rknan qui le fait remarquer :

« Faire du roi de France le chef de la ohrétienté, 

sous prétexte de croisade ; lui mettre entre les mains les possessions temporelles de la papauté, une partie des revenus ecclésiastiques et surtout les biens des Ordres voués à la guerre sainte, voilà le projet avoué de la petite école secrète dont Du Bois était l’utopiste et dont Nogaret fut l’homme d’action. »

Retourner ainsi l’Inquisition contre la papauté, n'était pas une entreprise banale.

Clément V, dont l’intelligence était supérieure au caractère, voyait la solidarité qui existait entre l’Eglise et les Templiers, menacés également par l’impérialisme politique et la fiscalité de Philippe le Bel ; et d’autre part, il se rendait compte que les accusations lancées par Guillaume de Nogaret, petit-fils d hérétique et peut-être hérétique luimôme, contre la foietles mœurs du Temple, n'étaient qu’un prétexte pour le spolier et le supprimer. Aussi essaya-t-il d’empêcher le procès. A la suppression projetée de l’Ordre, il opposa un projel de fusion des Hospitaliers et des Templiers ; il appela auprès de lui les maîtres de ces deux milices et demanda au maître du Temple, Jacques Molay, sur ce sujet, un mémoire qui nous a été conservé.

Ce n'était pas ce que voulait le roi : aussi, coupant court au contre-projet pontifical en préparation, il