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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/56

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POUVOIR PONTIFICAL DANS L’ORDRE TEMPOREL

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Et c’est précisément cette condition internationale qui a continué de subsister, dans le domaine politique, juridique et diplomatique, après comme avant la disparition du principat territorial des Pontifes romains.

Dès le i" décembre 18^7, Guizot avait judicieusement déclaré : « Ce qui constitue vraiment l’Etat pontilical, c’est la souveraineté dans l’ordre spirituel. La souveraineté d’un petit territoire n’a pour objet que de garantir l’indépendance et la dignité visible de la Souveraineté spirituelle du Saint-Père. »

Douze ans après la chute du pouvoir temporel, voici comment parlait Duclerc, président du Conseil de la République française, le 20 novembre 1882 :

« Avant les événements qui ont mis lin au pouvoir

temporel, le Pape était souverain de deux ou trois millions d’hommes. Croyez-vous que ce fût à ce Souverain que les Puissances envoyaient des ambassadeurs ? Jamais la France n’a envoyé d’ambassadeur à un Souverain tel qu’était le Pape comme prince temporel. C’est au Souverain Pontife, représentant d’une grande puissance politique, que les ambassadeurs étaient envoyés. Or, je vous demande si vous croyez que la puissance politique du Pape ait été diminuée par la suppression du pouvoir temporel. J’estime qu’il n’est douteux pour personne que le Saint-Siège est encore actuellement une Puissance politique, une aussi grande Puissance politique qu’avant la suppression du pouvoir temporel. C’est donc au Pape, à l’homme investi d’une grande Puissance politique, que les autres grandes Puissances politiques de l’Europe envoyaient des ambassadeurs. C’est pour cela qu’après la perle du pouvoir temporel, elles ont persisté à lui en envoyer. »

Juste conception, que le ministre Spuller devait résumer par cette heureuse boutade : « Croyez-vous que la Souveraineté du Pape tienne à une motte de terre ? »

Pourquoi tant insister sur ce sujet ?

Parce que certains représentants de la magistrature française ont paru vouloir ériger en doclrine que, par le fait de la disparition du pouvoir temporel, le Pape aurait cessé de posséder, en Droit international, la qualité de Souverain. En ce sens, principalement, l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en date du 5 mai 1911 : « La Souveraineté — (du Saint-Siège) — a cessé d’exister par suite de la réunion des Etats pontificaux au royaume d’Italie. » Arrêt qui concordait avec les conclusions du procureur général Baudouin, dont l’argumentation se résumait ainsi : « Pas de souverainelésans Etat. Pas d’Etat sans territoire. Or, depuis le 20 septembre 1870, le Pape ne règne plussur aucun territoire. Donc, il n’est plus souverain. »

L’erreur est ici de croire que toutesouverainelé est nécessairement territoriale, comme tel est normalement et habituellement le cas. Il peut arriver cependant qu’une souveraineté, comme il arrive à celle du Pape, en raison ducaractère propre de son objet, soit d’ordre personnel, tout en vériliant le concept essentiel de souveraineté.

Ne dépendre d’aucun gouvernement, et avoir qualité juridique pour traiter d’égal à égal, par voie de négociations diplomatiques, avec tous les gouvernements, c’est posséder une authentique Souveraineté.

Le titre de cette Souveraineté pourra être territorial, s’il résulte de la possession indépendanted’un territoire. Il pourra être personnel, s’il résulte d’une condition de fait et de droit qui appartienne au domaine moral, social, juridique (pareille à celle du Pontife romain, dont le pouvoir religieux, en présence des Etats séculiers, requiert que le Pape soit exempt dcJ^jqJtp^p^p^jrt^Alion temporelle, et habi lité à traiter d’égal à égal avec les Puissances souveraines).

Avant la chute du pouvoir temporel, le Pontife romain était souverain par Souveraineté territoriale et par Souveraineté personnelle.

Depuis la chute du pouvoir temporel, le Pape a perdu, de fait, la Souveraineté territoriale, mais il garde la Souveraineté personnelle, qui était, de beaucoup, la plus importante, et qui, seule, rendait compte de la place considérable qu’occupait le Saint-Siège dans la communauté internationale.

Privé de sa Souveraineté territoriale, le Saint-Siège n’est plus un Etat : soit, car, dans la terminologie actuelle du droit public, le mot Etat enveloppe nécessairement l’idée de territoire. Mais, sans conteste, il demeure une Puissance, terme plus générique, qui désigne la condition politique et juridique de Souveraineté diplomatiquement reconnue dans les rapports internationaux. Et, en vertu de cette condition de fait et de droit, le Pape demeure investi de la qualité de Souverain.

C’est, d’ailleurs, chose évidente, irrécusable, dans les réalités diplomatiques et internationales du monde contemporain.

L’immense majorité des Puissances a été, au moins par rencontre, en relations de courtoisie officielle, ou de tractations diplomatiques, avec le Saint-Siège, depuis la chute du pouvoir temporel. A l’heure présente, vingt-six Etats sont représentés auprès du Vatican par une ambassade ou une légation permanente. Dans un nombre à peu près égal de pays, le Pape est diplomatiquement représenté par une nonciature ou internonciature apostolique. La coutume internationale exige même que, là ouest accrédité un nonce, c’est lui qui soit toujours le doyen-né du corps diplomatique. Au 1" janvier 1922, ce sont les nonces accrédités nouvellement à Paris et à Berlin qui ont présenté les hommages du corps diplomatique au chef de l’Etat français et au chef de l’Empire allemand. Le Pape futdoncle premierdes Souverains ou chefs d’Etat diplomatiquement représentés, auxquels s’adressa le remerciement de courtoisie officielle du chef d’Etat devant lequel le nonce apostolique venait de prendre la parole.

Il y a vraiment mauvaise querelle de la part de ceux des juristes, ou plutôt des politiciens, qui osent contester que le Pape soit vraiment Souverain, au regard du Droit international et, à cause du caractère particulier et spirituel de sa Souveraineté, prétendent qu’il y a seulement assimilation par voie d’égards et de courtoisie entre le Pape et un Souverain, entre un nonce et un ambassadeur, entre un concordat et un traité diplomatique. Malgré les particularités indéniables que présente tout ce qui concerne le Saint-Siège, par comparaison avec les Puissances profanes, c’est contester l’évidence du plein midi que de mettre en doute la réalité politique, diplomatique, juridique et internationale, de la Souveraineté du Pape, ainsi que des actes de cette Souveraineté dans le domaine des relations entre Puissances, selon leDroit des Gens.

Interrogé sur le caractère du drapeau pontifical, aux couleurs blanche et jaune, M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Waldeck-Rousseau, répondit officiellement au garde dessceaux, M. Monis, le 4 septembre 1901 : Ce drapeau

« est celui d’un Souverain, s’il n’est pas celui d’un

Etat ».

Le Pape est Souverain, d’une Souveraineté personnelle et non pas territoriale.

La Papauté n’est plus un Etat, mais elle reste une Puissance, et agit pleinement avec cette qualité dans les relations de Droit international.