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SAVONAROLE

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au xix’siècle, par E. C. Bayonnb, Etude sur J. Savonarole, d’après dp nouveaux documents, Paris, 1879, qui manifesta l’espoir que Savonarole sérail un jour placé sur les autels comme le prophète, l’apôtre et le martyr de la réforme de l’Eglise accomplie ultérieurement par le concile de Trente. En dehors des Frères Prêcheurs, pour nous bornera quelques exemples, P. J. Caklk, Histoire de jra Hieronimo Savonarola, Paris, [1842], p. 358, lui a donné

« lesnomsde sain ton de martyr » ; Dom H. Leclercq

a consacré le t. Vide son recueil : Les martyrs, Paris, 1906, à Jeanne d’Arc et à Savonarole, et le principal historien du moine, J. Schmtzfr, Savonarola, Munich, 192^, t. II, p. 991-993, conclut non seulement que Savonarole personnifia l’esprit d’amour chrétien dans une mesure qui lui garantit une place d’honneur parmi les hommes saints du christianisme », mais encore que, canonisé ou non, Savonarole est « de ceux que l’autel n’honore pas mais qui honorent l’autel ».

e) Des catholiques, qui sans en faire un martyr ou un saint, ont jugé que sa personne et son action, dans l’ensemble, sont dignes d’éloge. Ici, une fois de plus, il y a bien des variétés : les uns rejoignent presque ceux qui rangent Savonarole parmi les saints ; les autres se rapprochent des écrivains du premier groupe qui, tout en reconnaissant à Savonarole une volonlésincèred’ètre orthodoxe, font de graves réserves sur son compte. Citons, pour laFrance, Rio, Montal’mbert, L. Vkuillot, G. Groyer, etc. L’auteur, non catholique, de l’ouvrage le plus important sur Savonarole avant celui de J. Schnitzer, P. Villari, /. S-ivonarole et son temps, trad. G. Gruyer, Paris, 1874, t. I, p. 27, le montre « essentiellement catholique ».

Que penser du catholicisme de Savonarole, parmi ce conflit d’opinions ?

II. — Les lumières. — Il y a certainement, dans la vie et dans l’œuvre de Savonarole, des parties lumineuses.

A. Le rbligibux et l’homme de prière. — Savonarole fut un religieux fervent, très attaché à son ordre, à saint Dominique, « son père, babbo mio », à saint Thomas d’Aquin qui l’attira chez les Frères Prêcheurs. Epris de perfection, merveilleusement adonné à la prière, il aima Dieu et il aima le Christ. Il fut dévot à la Passion, à la croix, à l’eucharistie, à la Sainte Vierge et aux saints. Ses traités contiennent là-dessus d’admirables choses, ainsi que ses i poésies et ses sermons : des traités, le premier est le l’ractato dello aniore di Jesà Cristo, Florence 1492, et le plus beau peut-être le Psalmus seuoratio devntissima : Diligam te, Domina, Venise, 1 4q5> commentaire du ps. xvn. Mystique dans la ligne d’Eckart et de Tauler, il unit la vie active à la vie contemplative, et son mysticisme alimenta son apostolat.

B. L’apologiste et le théologien. — Une des nouveautés marquantes du xve siècle fut l’apologétique dirigée non plus seulement contre les hérétiques et les juifs, mais contre les incrédules d’origine chrétienne. Marsile Fici.vdébuta : son Dereligione chrisliana et fidei pietate fut achevé avant 1.^8. Pic de la Mihandolr avait conçu le dessein d’un traité qui fut interrompu par la mort (i’cj’Œt q ue Savonarole semble avoir repris, tant leurs plans coïncident Dans le Triumphus crucis — le titre primitif était : De veritate fidei in dominicæ crucis triumphum —, composé en i^’j ; , Savonarole écrit contra hujus sæculi sapientes garriilosqne sophistas, c’est-à-dire contre les renaissants qui cessaient d’être chrétiens. Il prouve la vérité du christianisme uniquement ex

Tome IV.

causis principiisque nuturalibus…, ut, earum subsidio mitantes basibus solidatis consistant increduli et ad recipiendum supernalurale fidei lumen disponantur, fidèles autem, his instructi armis, contra impios oppugnat^res procédant. Le i er livre expose ce que la raison naturelle peut connaître de Dieu et de la religion. Le IIe esquisse une apologétique fondée sur l’expérience présente : beauté, bonté, sainteté, fécondité de la religion chrétienne. Le IIIe montre qu’elle ne contredit en rien la raison ; le IVe, qu’elle l’emporte sur les autres religions, qu’elle est transcendante, vraie. Le style est, d’ordinaire, sec et concis, bien que Savonarole déclare que, ayant affaire aux sages du siècle, consuetæ simplicitalis nostræ metam paululum in hujus operis stylo, pro illorum satisfactione, transgredimur ; une fois, Savonarole est émouvant, et c’est en parlant du Christ, 1. II, c. xiii. Cf. A. Décisier, L’apologétique de Savonarole, dans les Etudes, 20 août 19 10, p. 501-503. A sa date, ce traité de la vraie religion ne pouvait être complet ; il est déjà fort remarquable.

Savonarole est revenu ailleurs sur quelques-unes des questions abordées dans le Triumphus crucis : le Solatium ilineris mei, le De simplicitate vitae christianae, le Dialogus spiritus et animæ interlocutoriun et le Dialogus rationis et sensus interlocutorum valent d’être cités.

Ses autres écrits théologiques et philosophiques ont moins d’importance ; l’originalité y fait défaut. Mais Savonarole fut cultivé autant qu’on pouvait 1 être à la fin du xve siècle, et lui, qui n’appréciait que modérément la scolastique, plaça très haut saint Thomas d’Aquin ; il le mit au-dessus de tous les Pères et de tous les docteurs dans tous les domaines de la science humaine et divine, quitte à ne pas le comprendre toujours exactement.

C. Le prédicateur. — Certes, Savonarole paya tribut à son temps et, sans parler pour le moment des idées qu’il développa dans ses prédications, son genre oratoire n’est pas à l’abri de toute critique ; en particulier, il est souvent subtil, parfois grossier, et il déconcerte par une marche capricieuse dont on ne sait jamais où elle mène. Mais il eut une très haute notion du rôle et des devoirs du prédicateur. Ses discours étaient préparés par la prière et l’étude de l’Ecriture. Il renonça aux citations des auteurs profanes et aux petites industries des sermonnaires à la mode. Les goûts de ses auditeurs n’influèrent en rien sur lui ; seuls des motifs surnaturels l’inspirèrent. Il n’apportait pas des sermons laborieusement composés, appris par cœur, mais une parole vivante, des effusions d’àme. Il dominait, il maîtrisait son auditoire, qui était souvent de 14 à 15000 personnes, et que son renom de prophète, sa piété et la sainteté de sa vie subjuguaient autant et plus que la puissance de son verbe. Même transcrits’d’une façon défectueuse, ses discours offrent des beautés de premier ordre. Savonarole fut sans doute, , avec saint Bernardin de Sienne, le plus grand prédicateur de l’Italie du moyen âge et de la Renaissance.

D. Savonarole et le mouvement de la Renaissance. — « Des deux pieds, de cœur et d’esprit, dit J. Schnitzer, p. 800, Savonarole est sur le sol du moyen âge. » Il n’y a pas à le classer parmi les humanistes du quattrocento. Son estime pour les écrivains de l’antiquité païenne fut médiocre. Les poètes l’attirèrent peu ; Dante lui-même, s’il n’en défendit pas la lecture, trouva tout juste grâce devant lui, parce que Dante ne lui paraissait pas un pur croyant. En tout cela, Savonarole fut excessif ; il ne vit pas assez, avec les périls d’un humanisme paganisant, la nécessité d’un humanisme chrétien.

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