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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/64

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PRAGMATISME

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sion, ou pour des raisons légères, d’occasionner le dommage de la religion et des âmes en refusant présoinptueusement d’obtempérer, constituerait un péché contre la vertu cardinale de prudence, recta ratio agibilium. Ce pécbéanom « témérité ».

Le devoir de prudence ne cesserait de s’imposer que si, après mûr examen, on estimait, en conscience, avoir des raisons très légitimes et sérieuses, des motifs très graves de suivre la ligne de conduite que Rome désapprouve, et de douter du péril et du dommage religieux que Rome signale dans cette conduite. Bref, l’obligation s’imposerait dans la mesure et les limites mêmes où, d’après les règles ordinaires de la morale, peut s’imposer un devoir de prudence.

On voit la différence avec le devoir destricte obéissance qui, dans une question mixte, s’imposerait à tout ûdèle en vertu du pouvoir « indirect » de l’Eglise. Pareille solution nous semble tenir compte des divers éléments qui interviennent dans un problème aussi complexe, pour ne dire ni trop ni trop peu, et pour ne pas engager témérairement la responsabilité et l’autorité hiérarchique du Saint-Siège dans les affaires politiques des citoyens catholiques. Quand la matière ne comportepas obligation ratione peccuti, l’intervention pontificale se fonde sur un pouvoir « directif », qui engendre un devoir moral de prudence.

Pour conclure la présente étude sur le pouvoir

« indirect » des Papes en matière temporelle, nous

constaterons que cette prérogative, entendue, précisée et motivée comme elle doit l'être, apparaît purement et simplement comme une conséquence prochaine et certaine de la juridiction universelle et plénière du Pontife romain en matière spirituelle, telle que nous la propose le dogme catholique. Conséquence éminemment légitime, raisonnable et bienfaisante, car elle tend à introduire, au milieu des conflits temporels et politiques, où interviennent tant de passions perverses, l’influence pondératrice et pacificatrice d’une grande Puissance morale, dont les préoccupations distinctives sont d’un ordre essentiellement spirituel. C’est donc un gage de meilleure justice dans le gouvernement des hommes et des peuples.

Alors même que le pouvoir « indirect) des Papes sur le temporel avait quelquefois pour application terrible l’acte de déposer les souverains hérétiques ou prévaricateurs etde délier leurs sujets du serment de tidélité, cette institution, malgré ses incontestables périls, eut pour résultat dominant de protéger la société chrétienne contre des scandales et des abus énormes. Au chapitre vu du second livre Du Pape, Josbpu de Maistrb n’a pas tort de ramener à trois chefs principaux les interventions des Papes du Moyen Age dans les conflits temporels : défendre l’unité et l’indissolubilité du mariage, défendre les lois protectrices de la sainteté du sacerdoce, défendre les libertés italiennes contre les Césars de Germanie. De tels souvenirs ne répondent pas seulement au droit et à la mission de l’Eglise catholique. Ils honorent l’humanité.

Yves db la Briere.


PRAGMATISME. — I. La méthode pragmatiste. — II. La théorie pragmatiste de la connaissance et de la vérité. — III. Les affinités métaphysiques du Pragmatisme. — IV. Le Pragmatisme comme philosophie morale et religieuse. — V. Critique du Pragmatisme. — 1° Le Pragmatisme comme méthode. — 2° La théorie pragmatiste de la connaissance et de la vérité. — 3° Les vues métaphysiques du Pragmatisme. — 4° Conceptions religieuses et morales du Pragmatisme. — Bibliographie.

Depuis que l’illustre psychologue américain, William James, l’a rendu populaire, le mot pragmatisme a été employé d’une manière si vague et prête à tant de confusions qu’il importe tout d’abord d’en débrouiller les principaux sens. Le créateur de la théorie, Charles Sandkrs PBiRCE, l’a rattaché au mot grec TrpKy //aTixij (homme d’action, rompu aux affaires), et l’a adopté de préférence à practicisme ou practicalisme (de rr^axTixè ;) pour éviter toute assimilation de ses idées à celles de Kant. Il a choisi ce ternie pour souligner la relation qui rend inséparables connaissance rationnelle et dessein rationnel '. A plus juste titre, James le fait dériver de irpâ-/fi « , qu’il traduit par action 11, ce qui est, en effet, un des sens du mot dans l’usage classique, et cette étymologie donne à entendre que le pragmatisme est l’attitude du philosophe qui considère toute chose, et spécialement la connaissance, du point de vue de l’action. Cette étymologie n’impose guère de limites et permet de faire du mot un usage très étendu. Aussi, lorsqu’on lui laisse sa généralité, il peut désigner toute philosophie qui, de façon ou d’autre, entièrement ou en partie, explique l’esprit et les choses en partant de l’action. Ainsi entendu, il convient à des doctrines d’esprit aussi différent que celles de Kant ou de James, de M. Bergson ou de M. Blondbl 3. James va même plus loin et prétend, non sans exagération, que Socrate était un adepte du pragmatisme, qu’Aristote le pratiquait systématiquement, que, grâce à lui, Locke, Berkeley, Hume ont établi d’importantes vérités.

Dans un sens plus restreint, il s’applique aux théories qui non seulement utilisent l’action comme

1. What pragmatism is. The Moniit, avril 1905, p. 163.

2. « Le terme est dérivé du même mot grec 7rpâ-//iK ( d’où viennent nos mots practice (pratique, substantif) etprætical (pratique, adjectif). Pragmatism. New-York, 1907, p. 46.

Le premier sens du mot xpây/xa est affaire, ce que l’on fuit ; puis, en second lieu, l’action de faire, l’activité ; enfin, ce « ini est fait, ce qui existe, d’où, événement, chose, réalite'. Ce dernier sens, qui semble particulièrement visé par James, comme nous le verrons, est aussi celui que présente parfois le mot dans l’usage philosophique à une époque très ancienne. Les expressions t : pv.yp.oc. et npoL/fiXTeta se rencontrent dans le Cralyie de Platon, et fréquemment dans les écrits logiques et la Métaphysique d’AitisTOTE. La première signifie tantôt chose, tantôt objet, tantôt réalité. Ttp « y/J.K, opposé à ovo/ik (nom), désigne le concret individuel. Aiistote entend aussi par là le fait, par opposition à ce qui est simplement pensé, l'être de raison. Pour l’histoire du mot, voir dans Archiv fur systematische Philosophie, t. XIV, II fasc, l’article de L.Svmn, à qui j’emprunte ces derniers détails.

3. M. HniMiti, sans rien connaître de l’emploi du mot aux Etats-Unis, avait aussi créé ce terme pour désigner son système. « Je me suis proposé à moi-même le nom de pragmatisme en 1888 et j’ai eu la conscience nette de le for nier, n’ayant jamais rencontré ce mot, qui depuis quelques années a été employé en Angleterre, en Amérique, en Allemagne, en Belgique… Dans V Action (p. 204 et passim), j’ai indiqué la différence entre irp&^ti, Ttpày/xa, 7to</) » (ç. Et si j’ai choisi le nom de pragmatisme, c’est afin de spécifier le caractère précis de mon élude. » (Cf. Lalandë, Pragmatisme et Pragmaticisme, p. 123, en note Revue Philosophique, février 1906) Par une lettre envoyée è M. Parodi, lors de la discussion sur le Pragmatisme à la séanci' du 7 mai 1908 de la Société française de Philosophie, M. Blondel a contesté toute « parenté évidente » ou « relation même cachée » de son système avec le pragmatisme anglo-saxon et a signalé quelques-uns des principaux points par où ils diffèrent. (Bulletin de la Société française de Philosophie, t. VIII, 1908, pp. 293296).