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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/65

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PRAGMATISME

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principe partiel ou total d’explication, niais qui en a llirnient la primauté, la considérant comme la forme suprême de la n’alité. Bn ce sens, il semble bien que M. Bergson ne soit plus pragmatiste. alors que M. Blondel le demeure. Si, en elTet, le premier se sert de l’action pour établir la relativité de la connaissance intellectuelle et rendrecompte de sa structure et de son fonctionnement, du moins ne prétend-il pas que l’action seule nous mette en possession du réel. Selon lui, ce rôle appartient à un mode spécial de connaissance, qu’il nomme intuition. M. Blondel, au contraire, rapporte tout aux exigences de l’action, comme il explique tout par elle.

Mais le mot pragmatisme, au sens le plus étroit, marque proprement un courant de pensée bien déterminé qui, originaire des Etats-Unis, a rapidement gagné les pays île langue anglaise et débordé quelque peu sur les autres contrées. Comme on y trouve rassemblés tous les traits épars dans les doctrines qui lui ressemblent, et que l’on désigne par son nom, c’est à ce pragmatisme-type qu’il convient de s’attacher. Notre étude se contiendra ainsi dans de justes bornes, et la division nous en sera fournie par les étapes de ce mouvement. Le pragmatisme s’est tout d’abord présenté comme une méthode, un sûr moyen de donner aux idées un contenu clair et distinct, aux mots une signification précise, de préparer ainsi la solution des véritables problèmes, des questions réellement importantes et d'écarter toute discussion oiseuse. La justification de cette méthode a conduit à élaborer une théorie de la connaissance et de la vérité. Cette dernière enfin, par les postulats sur lesquels elle repose, a exigé l’esquisse d’une métaphysique, à laquelle se sont jointes des vues sur la morale et la philosophie de la religion. Nous allons donc envisager le pragmatisme sous ces différents aspects qui marquent les phases de son évolution, en étudiant les idées des principaux représentants de cette tendance philosophique, Pbirge, James, Schiller et Dewey ; puis, nous en proposerons une brève critique.

I. La Méthode pragmatiste. — Charles Sanders Pkircb est un savant dont la vie s'écoula, presque depuis l’enfance, entre les murs du laboratoire, et, par ailleurs, un esprit ouvert aux spéculations philosophiques. Comparant les procédés employés et les résultats obtenus dans les sciences expérimentales et la métaphysique, il fut amené à penser que les discussions multipliées et interminables qui se perpétuaient dans le domaine de celle-ci provenaient de l’absence d’une méthode positive, analogue à celle dont la science tirait tant de profit. Il résolut donc d'écrire à son tour son Discours de la Méthode, et de rectifier les idées de Descartes touchant la clarté des idées.

L'étude qu’il publia dans la revue Popular Science Monthly compre/îd deux parties : Comment se fixe la croyance ? Comment rendre nos idées claires ? (nov. 1877etjanv. 1 878. Traduit dans Revue Ph ilosophique, déc. 18 ; 8etjanv. 1879) Bien poser la questionlogique est la première condition que Peirce s’attache à réaliser. Que cherche par-dessus tout l’esprit qui s’efforce de résoudre une difficulté? Atteindre la vérité sur ce point ? Se mettre d’accord sur ce terrain avec la réalité? Non, ce n’est pas là ce qui le préoccupe. Il cherche à dissiper un doute qui lui cause un malaise des plus pénibles. Agir est pour l’homme une nécessité dans un grand nombre de cas ; or, pour agir, il faut une conviction. Il est donc nécessaire d’acquérir, coûte que coûte, une assurance. Tel est le point capital ; la vérité, c’est-à-dire l’accord avec la réalité, tout en n'étant point exclue,

n’est qu’un aspect secondaire et négligeable de la question. Atteindre un état de croyance que le doute ne puisse attaquer, voilà le vrai désir de l’homme.

Le point de vue subjectif est ainsi fortement marqué. D’autre part, la relation mise entre la vérité et l'état de doute réel est un point commun aux diverses formes de pragmatisme proprement dit, et nous retrouverons chez James, Schiller, Dewey, cette manière de poser la question, bien qu’elle ne se présente pas tout à fait sous le même aspect qu’ici. Pour le pragmatiste, une « valeur » telle que la vérité ne peut surgir que dans une crise. Il faut qu’une opposition se révèle dans une expérience, harmonieuse jusque-là, que l’esprit ressente un malaise qui le pousse à surmonter la contradiction. C’est précisément ce trouble préalable qui donne à la vérité acquise son caractère de « valeur ».

La seule méthode efficace sera celle qui rendra la croyance inébranlable. Peirce passe en revue les diverses méthodes par lesquelles, pense-t-il, on a tenté jusqu'à lui d’obtenir ce résultat. D’abord, la méthode purement individuelle, qu’il appelle méthode de ténacité. Elle repose sur l’habitude et consiste à ériger en certitude la solution qui plaît, en insistant sur tout ce qui la favorise et en écartant de parti pris tout ce qui pourrait y porter atteinte. Puis, la méthode sociale ou méthode d’autorité. Elle n’est autre que la première appliquée à toute une nation ou même à un ensemble de peuples. Le gouvernement impose certaines idées, grâce aux puissants moyens dont il peut user. Enfin, la méthode a priori qui, laissant à la raison son libre jeu, semble devoir amener les hommes, par l'échange de leurs idées, « à développer graduellement des croyances en harmonie avec les choses naturelles ».(Rev.Phil., déc. 1878. p. 564) Mais c’est là une illusion : les idées auxquelles cette méthode fixe la croyance ne sont pas celles que justifient les faits, mais celles qui paraissent « agréables à la raison i>. Elle aboutit à la création de systèmes métaphysiques et, contrairement à ce que promettait son principe, conformité à la raison, elle n’a pu établir de convictions universelles.

Aucune de ces méthodes ne résout le problème logique. Les deux premières échouent parce qu’il est impossible, soit à un individu, soit à un gouvernement, d'écarter l’influence de toute idée contraire à l’opinion adoptée ; l’histoire est là pour le prouver. La troisième ne réussit pas davantage, car tout en prétendant procéder avec rigueur, « elle fait de l’investigation quelque chose de semblable au goût développé : mais malheureusement le goût est toujours plus ou moins une affaire de mode ». Il faut donc « trouver une méthode grâce à laquelle nos croyances ne soient produites par rien d’humain*, mais par quelque chose d’extérieur à nous et d’immuable, quelque chose sur quoi notre pensée n’ait point d’effet ». (Rev.Phil., déc. 1878. p. 565). Cette formule est inattendue. Elle a une saveur intellectualiste qui paraît étrange, alors que Peirce vient de proclamer que l’accord avec la réalité est chose tout à fait secondaire. L’on trouve chez James et surtout chez Schiller et Dewey des affirmations radicalement opposées à celle-ci. Ha soulignent l’influence sur les croyances et sur les choses, non seulement de l’action physique, mais aussi de la volonté, de la pensée, de la personnalité tout entière.

La seule méthode apte à fixer définitivement la croyance, conclut Peirce, est celle qui peut agir sur tous les hommes et leur donner les mêmes impressions, ou du moins, qui est capable de tirer de ces impressions, malgré la variété des dispositions

1. C’est moi qui souligne.