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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/827

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THEOLOGIE MORALE

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attend de l’autorité doctrinale confirmation, direction et, s’il était nécessaire, redressement.

Mais, en outre de la foi, elle use aussi — et beaucoup — de la raison humaine : c’est de cette dernière qu’elle reçoit son caractère scientifique, sa systématisation ; elle n’a vraiment existi’que quand elle est devenue rationnelle. Au reste, ayant pour objet propre vertus ordinaires, commandements, péchés, elle tend à demeurer dans la sphère de la loi naturelle, que la raison peut déclarer.

De plus, pour se compléter, elle devait devenir casuistique : il ne lui suffisait pas pour sa tâche de reconnai tre et de systématiser les principes ; il lui fallait et les appliquer aux circonstances et former ceux qu’elle voulait instruire à les appliquer. De la cet épanouissement de la casuistique, sitôt que ses bases scolastiques ont été solidement établies.

Les cas qu’elle discute sont de deux espèces : des cas types, où sont envisagées les circonstances ordinaires ; ils illustrent la doctrine et apprennent à bien user des principes. — des cas que l’on appellerait volontiers cas limites, aux circonstances moins ordinaires, taisent même état d’hypothèses peu réelles ou en apparence bizarres ; dans 1 étude de ces derniers, il a pu y avoir parfois excès de subtilité ou recherche de virtuosité ; quon ne co’.idamne pas trop vite cependant cette étude, car elle est souvent fort utile pour reconnaître les contours de la doctrine, la portée exacte des vérités générales ; la recherche des limites dans les commandements et les péchés est de première importance en théologie morale,

— et ces cas y aident singulièrement..

C. Par ses résultats enfin, cette théologie devait apparaître plutôt minimiste, voire scandaleuse.

A-t-elle vraiment passé, à un moment de son histoire, dans la jeune poussée de sa casuistique, par une crise de fléchissement et de laxisme ? Nous le discuterons plus loin. Mais, il faut l’avouer, c’est par sa nature même, — en vertu de son objet et pour atteindre son but, — qu’elle se fait volontiers minimiste : elle reste terre-à- terre parce qu’elle ne montre que le côté le moins élevé de la morale chrétienne et qu’elle tend à restreindre le devoir. Elle est faite pour former le juge daus le confesseur.

Or, c’est une obligation pour lui de ne pas majorer les commandements imposés comme tels au pénitent, de ne pas déclarer faute grave ce qui ne l’est pas certainement. Le chrétien fait bien de ne pas vouloir dans sa conduite personnelle rester sur la corde raide du strict devoir : il risquerait de ne s’y pas tenir longtemps. Le directeur a le devoir d’inviter les âmes à viser haut, afin de ne pas tomber trop bas ; le confesseur se doit de connaître le strict minimum requis pour l’absolution, — et c’est ce qu’avant tout s’efforce de lui indiquer la théologie morale.

On comprend donc qu’elle soit facilement scandaleuse pour quiconque aborde ses manuels sans avoir bien compris sa nature, sans connaître son histoire, sa langue et sa terminologie spéciales, sans réfléchir aussi qu’elle doit traiter de toutes matières utiles en confession, et surtout de celles qui y sont plus fréquentes : ces prétextes de crier au scandale expliquent en grande partie qu’elle ait rencontré, particulièrement depuis qu’elle a accentué son caractère casuistique, de nombreuses attaques ou critiques.

n. — Attaques contrb la théologie morale

ET CRITIQDBS QUI LUI ONT ÉTÉ FAITES

De ces attaques et de ces critiques, nous ne signalerons que les plus importantes ou les plus actuelles parmi celles qui se sont produites en France.

(Pour l’Allemagne, voir dans ce Dictionnaire, art. Fin justifie les moyens et Kirchnelexicon, art. Moraltheologie et Casuistift ; pour les pays de langue anglaise, The Catholic Encyclopxdia, art. Theology Moral).

i° xvn* siècle. A) Jansénistes et Provinciales.

— C’est la morale casuistique des Jésuites que visaient directement les attaques des jansénistes. Mais dans le travail théologique, les Jésuites tenaient une place éminente ; certains des reproches, qui leur

étaient faits, s’adressaient à la méthode même et aux résultats obtenus. En fait, les coups atteignaient donc lu théologie morale tout entière, dans la forme moderne qu’elle achevait alors de prendre.

Cette observation est surtout vraie des Provinciales, qui sont au reste, et de beaucoup, l’œuvre la plus célèbre et la plus heureuse de la polémique janséniste’.

De la lecture des Petites Lettres, que pouvait-on conclure au sujet de la théologie morale ? Ceci, semble-t-il (Cf. surtout les 3°, 5e, 1 3e Provinciales) :

a) Selon Pascal, la théologie morale était devenue dans les mains des Jésuites, un instrument de conquête et de domination. Le dessein de ces Pères était d’assujettir à leur joug le monde entier ; une de leurs armes était la casuistique, dans laquelle ils étaient passés maîtres.

b) La casuistique leur permettait d’énerver la morale chrétienne : en définissant, en divisant, en subtilisant, en usant de la probabilité, obtenue grâce à un seul docteur, on pouvait ébranler les lois les mieux fondées et absoudre tout pécheur, même s’il ne voulait pas changer de conduite. La morale traditionnelle était conservée pour les âmes désireuses d’austérité ; aux autres on servait une morale facile, relâchée, toute mondaine.

c) De là un terrible danger de laxisme pour l’Eglise : le seul remède était de restaurer dans toute sa pureté et sa vigueur cette morale traditionnelle, corrompue par les subtilités et le probabilisme de la casuistique, de revenir à la simplicité de l’Evangile et des Pères.

Pascal allait dans ce sens plus loin que ses amis : beaucoup ne voulaient que réformer la théologie morale dans un sens rigoriste ; ils lessayèrentaprès les Provinciales (Degekt, Bulletin de Littér. ecclés. Toulouse, 1913, p. 416 sq.). L’outeur des Provinciales, positiviste avant, lu lettre, très peu versé en théologie (Thomassin dira d^ lui : « Voilà un petit jeune homme qui a bien de l’esprit, mais qui est bien ignorant ! »), ne comprendra pas la théologie morale moderne et niera qu’elle soit en progrès.

Voir dans la plus récente édition des Provinciales (Les Grands Ecrivains, Œuvres de Pascal, 1914, t. IV), l’introduction de M. Félix Gaziir : en somme, Pascal reproche aux caMiistes de faire de la théologie morale une science juridique, séparée radicalement de l’ascétique, remplaçant la foi par la raison, progressant à coups de subtilité, tout imprégnée d’éléments païens. « Les adversaires de Pascal se plaignent qu’il n’ait pas discuté le problème de la théologie morale dans les termes où ils le posaient eux-mêmes, mais c’est précisément la position initiale du problème qui est aux yeux de Pascal l’erreur fondamentale. » (p. xli). « Pascal a conscience que l’originalité des Provinciales, c’est précisément de se débarrasser de sa terminologie de l’Ecole, propre aux équivoques et aux sopiiismes, pour restaurer la doctrine chrétienne dans toute sa pureté. » (p. xlii).

1. Sur les autres principaux écrits des Jansénistes, dirigés avant ou après les Provinciales contre la casuistique des Jésuites, voir A. Brou, les Jésuites de la Légende, t. I, p. 310 (La Théologie morale des J., 164’i) ; t. II, p. 5 (La morale pratique, 1669-1683) et p. 137 (Extrait des Assertions…, 1762).

Il est difficile, après la thèse d’A. DK Mbyek, les Premières controverses jansénistes en France, 19 ! 7, de soulfnir avec le P. Nouet que le premier de ces écrits, la Théol. mor. des Jésuites (œuvre d’Arnauld, ou plus probablement de Ballier), soit en dépendance étroite du u Catalogue ou Dénombrement des traditions romaines », pamphlet du pasteur Dumoulin (1632).

Mais il reste vrai, comme nous le disions [dus haut, que les protestants ont été les premiers à attaquer la casuistique catholique et qu’ils mit montré mit ce point la voie au Jansénisme. Luther, Mélanchton, Calvin, Duinoulio. .. reprochaient à la théologie morale moderne, soit de compliquer la vie chrétienne, par elle-même très simple, soit de lé’nerver par ses solutions laxistes.