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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/90

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PRAGMATISME

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nisme orthodoxe sur les points mêmes où il prétend avoir l’avantage.

Le pragmatisme se présente ici comme une philosophie de l’effort, de la bravoure, du progrès indéfini, connue un ferment prodigieux de vie inorale, qui donne à l’existence une saveur nouvelleet délicieuse. La religion chrétienne possède ces caractères à un degré supérieur, sans aucun des inconvénients de cette philosophie. L’homme aime à déployer son activité, lorsqu’il a des chances de réussite, lorsqu’il peut compter que les circonstances le seconderont ou, du moins, ne lui seront pas absolument défavorables. Le pragmatisme crie : « Agissez I essayez ! vous pouvez tout gagner, vous pouvez aussi tout perdre. Vous ne saurez ce qu’il en sera qu’après vous être engagé dans l’aventure. » Est-ce là une philosophie réconfortante, capable d’inspirer un courage invincible ? Bonne plutôt pour des téméraires, pour des cerveaux brûlés qu’entraîne le goût du risque, elle n’est pas faite pour l’ensemble des homtnes ; elle ne saurait qu’être rejetée par ceux qui, étant les plus résolus, sont en même temps les plus sages et les plus clairvoyants.

La religion chrétienne nous invite aussi à l’effort, à l’eifort continuel, à une lutte des plus rudes ; elle veut que l’homme se perfectionne sans cesse, mais elle lui montre les chances très grandes qu’il a d’aboutir, parce que la grâce prévient son action, y coopère, lui donne son accomplissement. Ce n’est plus une aventure, c’est une entreprise sérieuse, sensée, entourée de telles garanties que, si les risques ne sont pas absents, on peut du moins les affronter avec avantage. Il y a donc tout ici pour enflammer le courage, grandeur du but et chances de succès. Et de quoi, en effet, n’est pas capable une âme que transporte la divine charité ? Aucun obstacle ne saurait l’arrêter. James, lui-même, malgré les préjugés qui l’ont empêché d’apprécier pleinement la sainteté catholique, a dû pourtant lui rendre hommage.

La foi est dans le pragmatisme, comme dans la religion, le ressort de l’action. Mais il ne faut pas que l’emploi du même mot fasse illusion. La foi pragmatiste est tout autre chose que la foi chrétienne. Elle est d’abord purement naturelle, et même dans cet ordre, elle n’a rien de spécifique. Toute connaissance, qu’elle soit vulgaire ou scientiûque, morale ou religieuse, a son principe dans la foi, c’est même ce qui permet aux pragmatistes de supprimer radicalement toute opposition entre la science et la religion. En second lieu, elle est essentiellement une attitude de la volonté et non un acte de l’intelligence. C’est parce que nous voulons atteindre tel résultat que nous formons telle hypothèse et que nous croyons aux chances de cette hypothèse, assez pour la mettre à l’épreuve. Enfin cette foi est, par suite, essentiellement relative à une expérience. M. Schiller déclare que toute croyance qui ne tend pas à une expérimentation n’est pas une véritable foi.

Toute connaissance procédant de la foi, il n’y a plus de foi proprement religieuse ; de même qu’il n’y a plus de miracle, lorsque tout fa : t devient miracle, comme l’imaginent certains penseurs contemporains. Ce que nous avons dit plus haut touchant la structure du réel et l’impossibilité de réduire les principes de la connaissance à des postulats suffit à montrer la fragilité de cette thèse. Nous ne nous attacherons ici qu’à en souligner la pauvreté au point de vue religieux. La foi chrétienne est une vertu surnaturelle qui réside dans l’intelligence, bien que la volonté, sous l’influence de la grâce, coopère à son obtention chez celui qui se convertit. Elle s’appuie

sur l’autorité de Dieu nous révélant les vérités du salut, et bien qu’il puisse y avoir des fluctuations dans l’esprit du croyant à cause de l’inévidence de l’objet, cependant la foi est absolument ferme, elle a une certitude absolue, antérieurement à toute expérience. L’expérience ne lui est point nécessaire, puisque l’autorité divine est un garant supérieur à toute constatation humaine. Ainsi, la foi donne au chrétien un point d’appui inébranlable. Quelle force, quelle sécurité au milieu des vicissitudes de la vie, en face des maux qu’il faut affronter ! La foi pragmatiste ne dispose pas de telles ressources ; elle a son origine dans les désirs humains qui sont loin d’être toujours raisonnables, compatibles avec la nature des choses et, de ce fait, sont souvent voués à un échec. Elle peut s’appuyer sur des données scientifiques, mais, dans un grand nombre de cas, elle ne pourra se guider que d’après des probabilités, parfois même elle devra procéder à l’aveugle. Une telle foi ne saurait suffire à la plupart des hommes, et les plus résolus, dans les moments de crise, ressentiraient cruellement l’incertitude de ce genre de croyance. Même au point de vue pragmatiste, cette foi est donc à rejeter, car elle ne remplit pas l’office que l’homme attend de la croyance religieuse.

La même insuffisance se révèle dans l’idée du Dieu fini. Ce Dieu plus puissant, plus sage, meilleur que nous, pourrait être digne de nos hommages, nous inspirer une certaine confiance, s’attirer notre amour. Mais, ni ces hommages ne pourraient être sans réserve, ni cette confiance, absolue, ni cet amour, total. Au Dieu fini correspondrait une religion finie, non pas seulement parce que l’homme est lui-même un être limité, mais parce que l’objet de son culte ne comporterait pas cette absence de limites dans l’adoration qu’exige un Etre Infini. Etre aimé sans mesure, avoir droit à un dévouement absolu, à un don total de la personne, inspirer une confiance inébranlable, cela ne convient qu’à l’Etre infiniment parfait. Si sa sagesse est bornée, il peut se tromper et nous égarer avec lui ; s’il n’a pas la toute-puissance, il pourra essuyer des échecs et se trouver incapable d’assurer notre salut ; si sa bonté n’est pas illimitée, nous avons à craindre qu’il ne veuille pas nous aider, alors qu’il le pourrait.

En faveur de cette conception du Dieu fini James fait valoir la solution toute simple qu’elle donne à la question du mal. Dieu, en effet, n’est plus alors d’aucune manière l’auteur de ce que l’univers présente de défectueux et de répréhensible. Si le mal existe, c’est précisément que la perfection de Dieu est limitée ; un Dieu infiniment parfait ne peut être l’auteur que d’un monde sans défaut. Ce raisonnement est sans force, malgré son apparence spécieuse. Il ne tient aucun compte des conditions de la création et de la Providence et perd de vue que tout effet de Dieu est nécessairement fini, que l’ordre du monde implique l’inégalité des formes d’être et que le mal est ainsi la condition d’un plus grand bien, considérations dont la théologie catholique a montré toute la force. Dans cette doctrine, le mal a un rôle à jouer ; ce n’est pas un fait brutal contre lequel l’homme lutte, sans savoir s’il en triomphera avec l’aide d’un Dieu dont le savoir-faire et la puissance restent aléatoires ; le mal devient intelligible, il est une condition de progrès, de purification, de mérite. Il ne saurait emporter de triomphe définitif, mais il est destiné à être absorbé dans le bien. Au contraire, du point de vue pragmatiste, le mal ne s’explique pas. Dire qu’il existe, parce que Dieu ou les dieux n’ont qu’une perfection linie, ce n’est pas en dévoiler l’origine, c’est seulement expliquer pourquoi il