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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/93

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PRÉCOLOMBIENS (AMERICAINS)

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les puissants royaumes et les grandes richesses. Leurs rapports enthousiastes et aussi les précieuses lettres île Pierre Martyr d’Anghiera signalent bien certaines différences de caractère, et des tendances, pacifiques chez ceux-ci, belliqueuses chez ceux-là ; mais les textes ne montrent pas ces écarts, ces contrastes dont, par la suite, le progrès des découvertes a permis de reconnaître l’existence parmi les peuples de l’Amérique. Alors, tandis que, grâce à une moindre exaltation d’esprit, le sens critique reprenait son activité et ramenait très vite à une plus grande exactitude les premières appréciations, voici que ce même sens critique se trouvait développé encore et renforcé par l’entrée en contact des Européens avec des populations très primitives et avec des empires considérables, de réelle puissance et de civilisation très avancée. Des Patagons vus par Magellan, des Indiens de l’Amazone qu’a connus Orellana, de ces Peaux-Rouges des bords du Saint-Laurent avec lesquels Jacques Cartier a entretenu des relations, aux Aztèques du Mexique, auxMayas Qu’ichés de l’Amérique Centrale et aux peuples de la Colombie et du Pérou, quel énorme écart I Tandis que sur les plateaux de l’Anahuac, du Guatemala et des Andes s’épanouissaient des sociétés vraiment organisées, ayant atteint un haut degré de développement matériel et même intellectuel, tout autre était l’état de nombre de tribus vivant dans les terres basses, au long des grands fleuves des parties septentrionales et méridionales du continent, comme aussi sur les bords de l’Océan Atlantique, depuis le cercle polaire arctique jusqu’au détroit de Magellan et aux terres désolées qui Unissent au Cap Horn.

Depuis la lin de la première moitié du xvie siècle, les grandes civilisations précolombiennes ont disparu (et elles l’ont même fait de très bonne heure, sous les coups des envahisseurs venus de l’Ouest) ; une partie des populations qui vivaient à l’époque de la découverte ont fondu plus ou moins vite au contact des Européens, et d’autres ont rétrogradé. Aujourd’hui encore, néanmoins, nombre de tribus américaines en sont demeurées, ou à peu près, au point où elles se trouvaient au moment de la découverte, dans un état très primitif, rappelant plus ou moins celui des premiers âges de l’humanité.

De ces populations de peau rouge aux teintes les plus varices, — depuis le rouge noir jusqu’au rouge le plus clair — il ne saurait être question de donner ici une classification, ni de rechercher l’origine, ni de raconter l’histoire. Ce serait sortir du cadre du Dictionnaire Apologétique. Pour y demeurer, le mieux sera de se borner à l’étude de leurs croyances et, si le mot n’est pas trop fort, au moins pour beaucoup d’entre elles, de leurs diverses religions ; mais, ici encore, il conviendra de distinguer. Pour les Indiens les moins évolués, il suffira d’indiquer très brièvement les traits les plus généraux ; pour les autres, au contraire, c’est-à-dire pour les plus avancés en civilisation, il est impossible de passer aussi vite. De là, quelques développements qui contrasteront tout à fait avec l’extrême brièveté d’autresparagraphes.

IL Croyances et Religions des populations primitives. — Elles sont cependant de beaucoup les plus nombreuses, les populations dont, comme la civilisation tout entière, la religion et les croyances sont très peu développées, sinon même absolument rudimentaires ; mais à quoi bon pénétrer dans un détail fastidieux ? C’est besogne de spécialistes confinés dans l’ethnographie religieuse. Ici, pour caractériser les tendances d’ensemble de chaque peuple, il n’est besoin que de quelques mots.

i. Aux extrémités Nord et Sud du continent américain vivent des populations dont l’existence est à la fois très rude et très précaire. Ce sont les Esquimaux ou iïskimos, les Innuit (les* Hommes », comme ils s’appellent eux-mêmes), disséminés sous le cercle polaire arctique ou plus au Nord, au long des rivages de « terre ferme » de l’Océan Glacial, dans les îles de l’archipel Parry ou au Grônland ; ce sont les Fuégiens et les autres habitants du groupe insulaire magellanique. De ces témoins actuels (si l’on peut dire) de ce que fut jadis l’humanité primitive, la religion est, ou plutôt semble parfois, réduite à presque rien. Les Esquimaux, que certains savants aventureux ont tenus pour les descendants des hommes quaternaires du Sud de la France, ne dépassent pas lecercle des superstitions fétichistes Ils croient — du moins ceux d’entre eux qui n’ont pas été convertis au christianisme — aux esprits des éléments, à une vie d’outre-tombe, à la magie. Grande est leur vénération pour les esprits des morts ; grande leur crainte pour les sorciers (angatok) et leurs sortilèges. Là comme chez les Lapons, les Samoïèdes et les Tchouktchis qui vivent en Eurasie sous les mêmes latitudes, un chamanisme grossier constitue seul, semblet-il, l’ensemble des croyances « religieuses » — mais l’épithète est-elle bien de mise ici ? — de ces pauvres Hyperboréens.

Plus rudimentaires semblaient, hier encore, les idées religieuses des Fuégiens, c’est-à-dire des indigènes de la Terre de Feu et des îles voisines (Terre des Etats, etc.) : Alacaloufs, Onas, Yagans… Des Européens qui avaient longtemps vécu au milieu de leurs pauvres groupes, et qui avaient cherché, en pénétrant dans leur intimité et en gagnant leur confiance, à se rendre compte de leurs croyances, n’étaient arrivés à rien ; aussi n’avait-on pas hésité naguère à écrire qu’on n’avait pas reconnu chez eux « la moindre trace d’un sentimentreligieux quelconque ». Dans un des plus récents tirages de Christus encore, Mgr Alexandre Lb Roy résumait ainsi (à la p. 85) les connaissances acquises sur les croyances des Fuégiens : « Les indigènes parlent d’un grand homme noir qui erre à travers les montagnes, qui connaît chaque parole et chaque action, et qui, pour envoyer le bon et le mauvais temps, tient compte de la conduite des hommes. Il défend qu’on mette i mort les petits canards, il déteste les péchés de luxure, et le meurtre, même d’un ennemi. » Rien de plus grossier et de plus terre à terre.

La toute récente communication du R. P. Guillaume Koppkrs, S. V. D., à la troisième session de la « semaine d’Ethnologie religieuse » en 1922 est venue modifier les idées reçues. Les trois enq « êtes instituées en 1919, en 1920 et en 1922 en terre u fuégienne par le R. P. M. Gusindk, S. V. D., vicedirecteur du Musée ethnologique de Santiago (Chili), et par le R. P. G. Koppers ont en effet été couronnées d’un plein succès. Admis tous deux à cette initiation secrète de la jeunesse, dont l’existence était seule connue jusqu’ici, les deux savants missionnaires ont été depuis lors tenus pour frères par les Yagans, qui ne leur ont plus rien celé de leurs croyances. Ils ont donc appris l’existence d’un Dieu

« qui est le même que le Dieu des Chréliens », leur

a-t-on dit d’abord, et qu’ils ont bien trouvé tel par la suite. Valauineuva (tel est son nom) est * l’Etre suprême », le « Dieu éternel », le « Père », le « Très Haut », le « Tout-Puissant » ; il « voit tout » et il

« sait tout ». Les Yagans ne lui rendent aucun

culte extérieur et ne lui font aucun sacrifice, pas même celui des prémices, mais se bornent à lui offrir chacun quelque privation ou mortification individuelle ; par contre, ils l’invoquent à l’aide de