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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/94

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PRÉCOLOMBIENS : (AMÉHICAINS)

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formules et de prières variées. Au total, ces Yagans, jusqu’ici réputés sans religion, « professent un monothéisme, non seulement relativement pur, mais encore vivant » (R. P. Koppkrs, dans les Etudes, 20 octobre 192a).

Les Yagans, qui se représentent Vatauineuva comme un esprit (Kôspik), et comme l’espritsuprême, connaissent d’autres esprits, dont les unssont bons et d’autres mauvais. Le plus mécliantdecesderniers c^t Jeteite ou Tanauva, « c’est-à-dire le plus grand diable de la terre ». Ils croient encore à une certaine immortalité pour l'àme humaine, mais ils ignorent complètement quel en est le sort après la mort ; ils avouent ignorerdemême, si les bons et les méchants ont le même sort. Ils tiennent toutefois pour certain qu’un méchant ne restera pas impuni.

Pour entrer en relations avec les esprits, et exercer une certaine- influence sur eux, ou du moins pour entrer en relation avec les esprits inférieurs (car Vatauineuva demeure toujours étranger aux pratiques superstitieuses des personnages dont il nous reste à dire un mot), les Yagans recourent à des médecins ou « docteurs », à des sorciers. Ceux-ci (et le fait est digne d’attention) doivent être appelés par une véritable vocation intérieure, par des songes, par des visions, à remplir leur rôle, que le R. P. Koppers compare à celui des Prophètes de l’Ancien Testament. Ils ne croient pouvoir exercer une certaine influence, par leurs chants ou par certaines manipulations, que sur les esprits inférieurs. On aurait tort de conclure de là, d’ailleurs, à l’absence de toute croyance superstitieuse chez les Yagans ; lors de la naissance et lors de la mort, la crédulité de ces pauvres Fuégiens se manifeste nettement, mais (dit le savant missionnaire ) « comme la croyance à un Etre suprême est claire et nette et qu’en toutes circonstances on a recours à lui, le terrain de la superstition est forcément très restreint ».

Il convenait de s’arrêter quelque peu sur le travail très sommaire etcependant très important du R. P. Koppers. Son mémoire constitue, en effet, une véritable révélation. Ne bouleverse-t-il pas toutes les idées communément admises ? Ne prouve-t-il pas la parfaite exactitude de cette parole si profonde et toujours si juste de Fustel de Coulanges : « Il n’est rien de plus difficile et de plus rare qu’une observation bien faite » ; n’inspire-t-il pas enfin un véritable scepticisme à l'égard de tant d'études incomplètes, dont la connaissance de rites plus ou moins secrets pourrait détruire les hâtives conclusions ?… C’est néanmoins sur des travaux de ce genre, et préentant par suite une bien moindre sécurité que celui du R. P. Koppers, que reposera la suite de notre exposé.

2. Comme les Esquimaux dont il a été question tout à l’heure, et peut-être plus encore qu’eux, les Yagans appartiennent sans aucun doute au groupe des peuples primitifs. Elevons-nous d’un degré dans l'échelle des civilisations américaines ; à quel résultat arrivons-nous ?

Qu’ils vivent sur le littoral de l’Océan Pacifique, dans la longue guirlande d’iles qui borde le continent en Alaskaouen Colombie britannique, u’ils nomadisent ouqu’ilssoientflxés en plein cœur de l’Amérique du Nord, dans les Prairies arrosées par les grands fleuves, plus ou moins loinde ces côtes de l’Océan Atlantique où, naguère, les ont rencontrés les navigateurs et les colons européens venus de l’Est, les Peaux Rouges ou Indiens n’ont pas (ou ne semblent pas avoir) d’idées religieuses très développées. Pour autant que nous pouvons le savoir, ils sont, à cet égard, très inférieurs aux Yagans. Ce sont, ou c'étaient (car il

faut tenir compte des a nations » disparues depuis quatre siècles, et aussi des tribus converties) essentiellement des fétichistes, à qui tou6 les phénomènes de la nature, tous les êtres, tous les objets un peu extraordinaires semblaient dignes d’adoration.

Toutefois, ils reconnaissent comme supérieur à tous les autres un Grand Esprit, qui est tantôt celui du Ciel et tantôt celui du Soleil, et qui est le maître suprême d « l’Univers entier. Mais, parfois, quelle idée les pauvres gens se font de ce Grand Esprit 1 Chez les insulaires de Nootka, dans le groupe de Vancouver, c’est une sorte d’animal légendaire, le Matlose, proche parentdumonstre sous les traits duquel se le représentent certains Esquimaux de contrées plus septentrionales ; nous voilà loin de Vatauineuva ! Ailleurs, par contre, le Grand Esprit, Maniton lin ou Kitchi- Manitou, est un être mystérieux qui habile les solitudes, les sommets des montagnes ou bien encore le fond des lacs, et qui manifeste sa présence par de bizarres apparitions. Sans doute certains Indiens s’en font-ils une très haute idée, tels les habitants de la Virginie d’Ahoné, le dieu pacifique et bon, créateur du monde et des dieux eux-mêmes ; tels encore les Pawnees, de Ti-ra-wæX. les Indiens du Massacliussetts de ce Kiethan, que cite MgrLsRoY dans le chapitre de Christus consacré aux populations de culture primitive (p. 85). D’ordinaire, cependant, c’est de façon moins éthérée que la plupart des Peaux-Rouges se représentent le Grand Esprit, sous des traits intermédiaires entre ceux d’Ahoné et ceux du Matlose ; le Grand Lièvre de ces Outaouais ou Algonquins supérieurs dont le vieux coureur des bois Nicolas Pbrrot a naguère recueilli les traditions, le Messou ou Créateur, que les Montagnais ou Algonquins inférieurs tenaient pour le frère aîné du Grand Lièvre, peut être aussi ce Manabozho, lèvent d’ouest, qui est le héros d’un véritable cycle mythique et épique, en partie recueilli par Schoolcraft au tome I de ses Recherches algiques, voilà des exemples de cette manière de comprendre le Grand Esprit.

Autour de lui se groupent de très nombreux esprits inférieurs ou manitous, pâles et d’individualité très peu marquée, qui semblent le plus souvent en relation avec les phénomènes naturels. Le Peau-Rouge les révère ou les craint, selon le bien ou le mal qu’il en reçoit et qu’il en attend, « chacun d’eux priant son Dieu dans son coeur comme il l’entend », suivant le mot prêté par Champlain aux sauvages de la Nouvelle France. On fume aussi du tabac en leur honneur, et on leur en fait des sacrifices ; on leur offre même des sacrifices humains, à la suite desquels on va parfois jusqu'à pratiquer unhideux cannibalisme, plus ou moins commun à tous les membres d’une tribu. Parfois aussi, des danses, des chants, des cérémonies rituelles longues et compliquées ont lieu à des dates déterminées.

Il y aurait beaucoup à dire sur les croyances des Peaux-Rouges à l’immortalité de l'àme (que d’ailleurs ils ne conçoivent pas comme séparée d’un corps) et sur le rôle joué dans leurs tribus par les devins, jongleurs ou sorciers. Ce sont ces derniers, parexemple, qui interprètent les songes des autres membres de la tribu à laquelle ils appartiennent, qui sont appelés en cas de maladie et se livrent à toutes sortes de singulières pratiques ou simagrées pour chasser le principe de la maladie du corps du patient. Mieux vaut signaler ici, d’un mot, le grand développement des mythes chez les Indiens de l’Amérique septentrionale, et noter l’intérêt que présentent leurs cosmogonies aussi curieuses que variées. Mieux vaut surtout indiquer que, beaucoup plus que le Grand Esprit, le totem de la tribu, du clan auquel ils ap-