Page:Affaire des déportés de la Martinique, 1824.djvu/144

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maintenant pourquoi on les prive des droits que l’on accorde aux Indiens dans nos colonies d’Asie[1]. On ne poussera pas sans doute l’absurdité jusqu’à donner pour motif les nuances du teint ou la forme des traits africains.

Ainsi, ce n’est donc plus qu’à la Martinique et à la Guadeloupe que se fait sentir l’influence du préjugé de la naissance ou de la couleur : influence qui a été reconnue si injuste et si pernicieuse dans différentes contrées, et surtout en France, où le roi, dans le calme d’une profonde sagesse, l’a anéantie en nous donnant le Code immortel de nos lois. Aujourd’hui, tout Français, quel qu’il soit, trouve dans la Charte un asile inviolable contre les vexations de l’homme puissant, et peut, avec des vertus ou des talens, arriver aux premières charges de l’État. Mais il n’en est pas de même d’une partie des sujets de Sa Majesté en Amérique : ils y sont tout à la fois exclus des emplois honorables, et exposés à tous les caprices et à toutes les avanies de la caste privilégiée. qui redoute leur industrie et leur intelligence.

Si nous entrions dans les détails sur les distinctions ignominieuses auxquelles ils sont condamnés, nous verrions les hommes de couleur libres qui, marchant à la tête de nos bataillons, ont vaincu à Lodi, Marengo, Austerlitz, Iéna, etc. ; nous les verrions, ces guerriers dont le bras a sauvé la patrie, impunément abreuvés d’humiliations s’ils osaient aller saluer leur toit paternel ?

On a sans doute de la peine à concevoir comment cette caste, dont l’origine et les prérogatives n’ont pas une source fort glorieuse ni fort respectable, ose afficher dans nos colonies de si hautes, de si ridicules, et souvent de si iniques prétentions. Cependant, rien de si ordinaire que de voir ceux qui la composent exercer les plus basses vengeances, persécuter, par les plus dégoûtantes vexations, les gens de couleur libres, et s’enorgueillir de l’impunité que leur assurent leurs priviléges, et que leur accordent les tribunaux, qui ne savent guère qu’absoudre ou excuser.

On pourrait supposer, d’après ce que nous venons de dire, qu’il n’y a jamais eu de lois protectrices dans nos colonies ; il n’en est cependant pas ainsi, et les premières ordonnances[2]

  1. L’Américain indigène possède tous les droits civils et politiques, et obtient même des titres de noblesse. À Saint-Domingue, les hommes de couleur sont les premiers magistrats de l’État. Ils jouissent de tous les droits civils et politiques dans les colonies espagnoles régénérées ; de tous les droits civils et d’une partie des droits politiques dans les Antilles anglaises.
  2. Édit du roi de 1642, article XIII : « … Voulons et ordonnons que les descendans des Français habitués esdites îles, et même les sauvages convertis à la foi chrétienne et en feront profession, soient censés et réputés na-