Page:Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il fera pour elle ce qu’il n’a jamais fait pour personne. Elle en était digne. Machault n’aurait pas prostitué sa science, s’il n’avait senti que ses leçons devaient porter fruits de nature à lui faire honneur.

Alors fleurissait la littérature énigmatique : les poètes cachaient dans un rondeau le nom de leur dame ; c’était de la galanterie en logogriphe et de la passion en anagramme. Ces petits poèmes étaient généralement plus difficiles à composer qu’agréables à lire. Quand la pensée se torture pour s’encadrer dans des mots obligés, pour s’habiller de certaines lettres, elle n’a plus la libre allure de l’inspiration, plus de grâce naturelle, plus de douce naïveté ; ces pièces de vers n’avaient que le charme du mystère. Guillaume de Machault excellait dans ce genre de travail ; ses œuvres en contiennent de nombreux modèles. Agnès, sans doute pour lui plaire, affronta ce genre disgracieux de poésie ; elle fit pour lui ce que les trouvères faisaient pour leurs dames, et peut-être est-il le seul homme de son temps qui ait reçu pareil honneur. « Mon très-doulz cuer, lui dit sa belle amie, je vous envoïe un rondelet où vostre nom est. Si vous pri très amoureusement que vous le veuilliez penre en gré ; car je ne le sceusse faire, se il ne venist de vous. » Nous publions ce rondelet, non comme la perle la plus pure de l’écrin d’Agnès, mais comme preuve de la flexibilité de son talent, prêt à se plier à toutes les formes imposées par le siècle.

Guillaume ne fut pas le seul objet des poésies d’Agnès : le recueil que nous éditons en contient plusieurs, certainement dues à d’autres inspirations. Nous avons montré la jeune princesse attirée vers Machault par la musique et la poésie, et ce ne fut pas la seule fois dans notre histoire que princesse jeune et jolie aima poète laid et disgracieux. Une fille de rois d’Écosse, la première femme de Louis XI, n’a-t-elle baisé la vilaine bouche d’Alain Chartier !

D’autres motifs expliquent encore la conduite d’Agnès : jolie et coquette, elle aimait les louanges, et la poésie sait les donner. Peut-être rêvait-elle la gloire de l’esprit, des grâces, comme elle avait l’éclat de la naissance. Peut-être espérait-elle obtenir de Machault cette immortalité qui perpétuait le souvenir des héroïnes de nos légendes, des femmes illustres des anciens jours. Nul mieux que Machault ne semblait mieux pouvoir combler cet inquiet désir. Leurs relations prirent de suite un