Page:Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/21

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caractère de galanterie amoureuse, et dès leur début elle voulut qu’il écrivît un poëme en l’honneur de leurs amours. Il dut, par son ordre, y insérer toute leur correspondance, tous les détails de leur liaison, sans réserve, sans réticence : « Si neveuil ni ne doit pas mentir », dit le poëte au commencement de son œuvre. Aussi reçut-elle le nom du Voir Dit. Ce sont les premières confessions du cœur écrites en français, les premiers mémoires intimes que notre langue puisse revendiquer. Si, par hasard, cet original récit n’était qu’un badinage, ce serait encore le premier roman d’amour dont notre poésie n’aurait pas emprunté le sujet au monde fantastique des épopées guerrières.

Quelques doutes sur la sincérité de ce récit viendront peut-être au lecteur. La lecture attentive du Voir Dit révèle des lacunes, des omissions volontaires. Mais de ce que l’auteur n’a pas tout dit, il ne peut s’ensuivre que ce qu’il a dit soit inexact. Machault proteste lui-même de son respect pour la vérité. Un peu de mystère, d’ailleurs, n’embellit-il pas la vie réelle ? Le crépuscule du soir a ses charmes, et c’est aux ombres de la nuit que le parfum des fleurs enivre, que le chant du rossignol a toute sa magie.

Agnès, en commandant le poëme du Voir Dit, n’avait pas l’intention qu’il restât secret, et quand cette intrigue fut connue du public, elle ne s’en inquiéta nullement.

Cette liaison ne pouvait longtemps rester ignorée. Amour de princes ont nécessairement témoins et confidents. La médisance et la raillerie s’emparèrent bientôt du texte qui leur appartenait. Les gens de lettres, les hommes de goût soupçonnèrent que cette intimité pouvait être simplement un jeu de l’esprit, où l’intelligence avait plus de part que le cœur. Ils s’enquirent moins du rendez-vous que des ballades échangées par les deux amants. On voulut connaître les essais poétiques d’Agnès ; on voulut voir si le sang du roi de Navarre n’avait pas menti.

Machault, dépositaire de ces intéressantes rimes, était d’une discrétion à toute épreuve. C’était pour lui chose sacrée et personne n’en avait reçu communication. Sans doute, les importuns d’un rang inférieur furent facilement éconduits ; mais quand la curiosité gagna les hautes régions de la cour, la résistance devint difficile : elle finit par être impossible, et voici ce que Guillaume fut obligé d’écrire à sa belle amie : « Mon trèz doulz cuer, ma chère suer et ma très douce amour, s’il vousplaist savoir, plusieurs grens signeurs scevent les amours