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XXI

Pour ce qu’elle estoit endormie.

Là vi je d’Amour la maistrie,

Car j’estoie comme une souche

De lez ma dame en ceste couche…

Et toute voie à la parfin,

Ma dame, que j’aime de cuer fin,

Qui la dormit et sommillia,

Moult doucement s’esvillia,

Et moult doucement toussi,

Et dist : — « Amis, estes vous cy ?

Acolez moi seurement. »

Et je le fis couardement.

Mais moult me le dist à bas ton ;

Pour ce l’acolay à taston,

Car nulle goutte n’i veoie,

Mais certainement bien savoie

Que ce n’estoit pas sa compaigne.

G’estoit comme cilz qui se baigne

En flume de paradis terrestre…

À la lecture de ce naïf récit, on est tenté de se demander ce qu’est devenue la réserve diplomatique de Guillaume ; mais le fait se justifie par les mœurs du temps, simples encore et privées de cette délicatesse si chère à notre siècle. Cette scène trouve des exemples dans nos chroniques sur la vie intime de nos pères. D’ailleurs elle a deux témoins perpétuels, deux jeunes filles qui parleront sans doute. On ne ferme pas la porte, et le serviteur de l’hôtellerie vient, quand chacun est couché, placer des couvertures aux pieds de nos voyageurs. Après quelques propos joyeux, Agnès s’endort paisiblement, comme dans sa couche virginale, aux côtés de sa mère. Sa sœur et sa compai- gnette ne sont-elles pas auprès d’elle ! Honni soit donc qui mal y pense.

Sans doute, en cette circonstance, Machault recueillait le bénéfice de sa goutte et de la cinquantaine ; il ressemblait peu à un galant, et pouvait se donner pour le père de nos pèlerines. Tl est des jours où les cheveux gris, où les infirmités et leurs conséquences ont leur valeur et donnent des privilèges : c’est une compensation aux misères de l’âge. La même bonne fortune n’eût pas été le partage d’un jeune trouvère aux cheveux blonds ou d’un vaillant capitaine à la flère et noire moustache. Quoi