Page:Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

XXV

rée et à plus honnourée de vostre amour que ne Roi ne Prince qui sont au monde (1).

Ce consentement facile de la princesse, ses compliments exa- gérés, ne paraissent pas étranges au poëte. Cependant, si cette jeune fille eût eu pour lui un penchant sincère, l’eût-elle affiché de gaieté de cœur ? Eut-elle permis la publicité de ses sentiments intimes, d’une faiblesse qui pouvait perdre son avenir ? Machault se fait illusion, sa passion l’aveugle, et nuit et jour il travaille pour sa royale amie.

Ces ballades, ce poëme qui chantaient ses charmes, satisfai- saient les désirs d’Agnès ; aussi ne cesse-t-elle de l’encourager dans ses lettres. « Et ai grant joie, — lui écrit-elle, — de ce que vous estes remis à faire nostre livre, car j’ay plus chier que vous le faciez que autre chose (2). » A son billet elle joint comme gages d’amour quelques objets de toilette portés par elle.

Le poëte s’exalte, il travaille sans relâche : « Vostres livres, — lui répond-il, — se fait et est bien avanciés, car j’en fait tous les jours cent vers : et par m’ame ! je ne me porroie tenir du faire, tant me plaist la matière ; mais j’ai trop à faire à quérir les lettres qui respondent les unes aux autres. Si vous pn qu’en toutes les lettres que vous m’envoierez dores en avant, il y ait date sans nommer le lieu. » Agnès n’en fit rien. Aussi règne-t-il dans les détails du Voir Dit un vague chronologique fort regrettable. Plus loin le poëte entre dans les vues d’Agnès ; il veut « que on parle de leurs amours cent ans cy après, en tout bien et en tout honneur. » Enfin il n’oublie pas de faire valoir son zèle amou- reux en ajoutant *. « Vous me faites veillier une partie des nuis et escrire grant partie des jours (3). »

Pendant que le poëte travaillait, la contagion et la guerre chassaient la cour de châteaux en châteaux. Agnès la suivait, et de temps à autre donnait à Machault un souvenir. Elle s’in- quiétait surtout de ce que devenait le Voir Dit.

De son côté, le poëte s’inquiétait de cette longue absence ; il avait vu en rêve sa dame vêtue de vert, couleur de l’incons- tance ; il ne demandait qu’à être rassuré. Rien ne ralentissait sa verve dévouée, et par chaque courrier il soumettait à sa belle

(4) P. 445.

(2) P. 4 45.

(3) P. 4 46.