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XXVIII

Comme on le voit, c’est par le Voir DU, fidèle à son titre, que nous connaissons le malheur de Machault. Sa franchise est- elle une vengeance, une expiation de sa crédulité ? Il avait enfin deviné toute la vérité : Agnès ne l’aimait pas, elle en aimait un

autre. Quel était-il ?

À la cour de France vivait alors ce Gaston Phébus, comte de Foix, dont la mémoire est si chère aux guerriers, aux poètes, aux chasseurs. En 1348, il n’avait que vingt ans ; jeune, beau, vaillant, il était le modèle de la chevalerie. Voici le brillant portrait que Froissart en traçait encore quarante ans plus tard (1) :

« Le comte Gaston de Foix dont je parle, en ce temps que je fut devers lui, avoit environ cinquante-neuf ans d’âge, et vous dis que j’ai en mon temps vu moult de chevaliers, rois, princes et autres ; mais je n’en vis oncques nul qui fut de si beaux membres, de si belle forme, ni de si belle taille et viaire bel, sanguin et riant, les yeux vairs et amoureux là où il lui plai- soit son regard à asseoir. De toutes choses il étoit si très par- fait, qu’on ne le porroit trop louer ; il aimoit ce qu’il devoit aimer, et hayoit ce qu’il devoit haïr. Sage chevalier étoit et de haute emprise et plein de bon conseil… Il fut large et cour- tois en dons… et aux champs, été ou hiver, aux chasses volon- tiers estoit, d’armes et d’amour volontiers se déduisoit… Il étoit accointable à toutes gens, doucement et amoureusement à eux parloit… Il prenoit en toutes ménestrandies grand éba- tement, car bien s’y connoissoit ; il faisoit devant lui et ses clercs volentiers chanter chansons, rondeaux et virelais… Brièvement et tout ce considéré et avisé, avant que je vinsse en la cour, je avois été en moult de cours de rois, de ducs, de princes, de comtes et de hautes dames, mais je n’en fus onc- ques en nulle qui mieux me plut, ni que fut sur le fait d’armes plus réjouie comme celle du comte de Foix estoit. »

Tel était Gaston Phébus à cinquante-neuf ans ! Que devait-il être en 1348, alors qu’il ne comptait que vingt printemps ? Près de lui qu’était Guillaume de Machault, pauvre gentilhomme de Brie, homme de plume et de bureaucratie, borgne, laid, gout- teux et chargé de dix lustres pesants ? La lutte n’avait pu être sérieuse, elle n’avait jamais existé. Au comte de Foix le cœur

(’! ) Froissart, liv. III, chap.’13.