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Page:Agoult - Dante et Goethe - dialogues.djvu/20

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DANTE ET GŒTHE.

de la masse solide. La Divine Comédie et Faust, qui s’élèvent aux plus grandes hauteurs de la spéculation métaphysique, prennent leur ferme appui dans le fond même des croyances populaires. Ni Dante ni Gœthe n’ont inventé leur sujet ; l’un et l’autre l’ont reçu d’un poëte plus puissant qu’eux-mêmes, du peuple. Ils ont écouté la voix de cet Adam toujours jeune, que le Créateur a doué du pouvoir de nommer les choses de leur nom véritable et de figurer, dans ses fictions naïves, les grands aspects de l’âme et de la vie humaine.

Le voyage en enfer, la vision surnaturelle des lieux où s’exerce la justice divine, était, vous le savez, une donnée familière aux imaginations du moyen âge. Depuis le VIe siècle, la tradition s’en était accréditée. Sortie des monastères, elle s’était répandue dans tous les rangs de la société laïque. La plus fameuse de ces légendes, celle du purgatoire de saint Patrice, d’origine celtique, avait été écrite en vers et en prose, dans la langue latine d’abord, puis dans les langues vulgaires. Celle du frère Albéric, moine du Mont-Cassin, qui se rapporte à la première moitié du XIIe siècle, et celle de Nicolas de Guidonis, moine de Modène, qui racontait en 1300, l’année même que Dante voulut prendre pour date de sa vision, les merveilles qu’il avait vues dans l’autre monde, étaient devenues populaires en Italie, de telle sorte que la représentation de l’enfer sur le pont alla Carraia, pendant les fêtes de mai 1304, fut l’un des principaux divertissements des Florentins et l’occasion d’une horrible catastrophe.