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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Entrés en séance à une heure et demie, les députés avaient à peine pu tenir en place pour entendre un rapport de pétitions. L’agitation était telle qu’il avait fallu suspendre la séance. Mille bruits plus alarmants les uns que les autres arrivaient de toutes parts. Où étaient les ministres ? Que décidait le roi ? Quelle serait l’issue de cette crise funeste ? On n’en savait rien. Ce qu’on savait, ce qui se confirmait de minute en minute, c’est que la garde nationale refusait de marcher contre le peuple ; que la troupe de ligne ne marcherait pas sans elle. C’en était assez pour faire appréhender les plus grands malheurs. On attendait avec anxiété M. Guizot, qui n’avait point paru encore. On murmurait, on l’accusait. Plusieurs espéraient, attribuant son absence prolongée à quelque énergique résolution prise en conseil. Enfin, à deux heures et demie, perdant patience, M. Vavin, député de la Seine, monte à la tribune. On sait que c’est pour interpeller le ministère. – « Attendez ! attendez ! » lui crie-t-on de tous les bancs. M. Hébert, seul au banc des ministres, annonce à la Chambre que le président du conseil et le ministre de l’intérieur, appelés hors de cette enceinte par des soins que la situation explique et requiert, ont été prévenus et qu’ils ne peuvent tarder. Un murmure d’impatience accueille ces paroles ; mais aussitôt le silence se rétablit, tous les regards se tournent vers in porte d’entrée. M. Guizot paraît sur le seuil. Est-ce bien lui ? Ses traits sont contractés, sa pâleur a pris une teinte livide, l’éclair de son regard est obscurci ; l’expression d’une souffrance profonde, contenue avec effort, se lit sur son front et dans son amer sourire. Il s’assied. Personne n’ose aborder le silence de cet orgueil blessé à mort.

M. Vavin remonte a la tribune et parle en ces termes « Messieurs, au nom de mes collègues les députés du département de la Seine et au mien, je viens adresser quelques interpellations au ministère. Depuis plus de vingt-quatre heures, des troubles graves désolent la capitale ; hier, la population entière a vu, avec un douloureux éton-