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HISTOIRE

redingote bleue, tout, dans son honnête personne, caractérisait la satisfaction d’un esprit étroit et la consciencieuse gravité d’une importance qui s’abuse.

Ce dut être pour lui un étonnement extrême de voir la facilité avec laquelle M. Ledru-Rollin, dont la position à la Chambre n’avait rien eu jusque-là de bien inquiétant, le dépossédait au banquet de Lille de sa paisible dictature. La réunion de Dijon posa plus nettement encore la question. Elle déchira le tissu d’équivoques dont on s’était enveloppé un moment, et laissa voir au pays deux partis inconciliables, plus hostiles l’un à l’autre qu’ils ne l’étaient tous deux au ministère. On aperçut clairement deux volontés opposées, dont l’une prétendait affermir la royauté en l’éclairant, dont l’autre visait droit et juste au renversement de la monarchie. À partir du banquet de Lille, M. Ledru-Rollin parla et agit comme chef de ce dernier parti, qui ne cacha plus ni ses tendances, ni même ses projets révolutionnaires.

Fils d’un honnête bourgeois dont la famille possédait à Fontenay-aux-Roses la maison qu’habita Scarron ; petit-fils d’un prestidigitateur devenu célèbre sous le nom de Comus, et qui avait gagné par ses talents une fortune assez considérable pour se voir dénoncé, en 93, comme détenteur de numéraire ; avocat paresseux, mais de verve facile, M. Ledru-Rollin, élu député du Mans, en 1841, à la suite d’un procès politique, était venu occuper, au sein du parti radical, la place de Garnier-Pagès. On ne savait trop encore à quoi s’en tenir sur ses opinions et son caractère. Le National ne se déclarait qu’à demi satisfait de ce choix. Cependant la profession de foi de M. Ledru-Rollin était explicite. « Pour nous, messieurs, y disait-il, le peuple c’est tout. Passer par la question politique pour arriver à l’amélioration sociale, telle est la marche qui caractérise le parti démocratique en face des autres partis. » Depuis ce jour jusqu’au banquet de Dijon[1], pendant six années de

  1. Au banquet de Dijon, M. Ledru-Rollin parlait ainsi : « Nous sommes des ultra-radicaux si vous entendez par ce mot le parti qui veut faire