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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

siasme ne l’avait entraîné au delà des strictes convenances dans la vie privée, au delà d’une légalité scrupuleuse dans la vie politique. Fils d’un conventionnel obscur, avocat distingué, M. Barrot aimait le gouvernement monarchique et ne combattit qu’à regret la Restauration. Ce fut lui qui, en 1830, contribua le plus à détourner la Fayette de l’établissement de la république. Après la mort de Casimir Périer, dont il avait attaqué avec persistance les tendances rétrogrades, il rédigea pour l’opposition un programme qui, sous le titre de Compte rendu, déclarait ouvertement la guerre à la politique personnelle du roi. Mais une fraction de son parti, effrayée par les émeutes des 5 et 6 juin, refusa de signer le Compte rendu et se rejeta dans les rangs ministériels, tandis qu’une autre fraction, excitée par cette défection subite, entrait résolûment dans les voies radicales. Dès lors M. Barrot demeura très-affaibli dans le parlement contre un parti compacte, fort de l’union de MM. Thiers et Guizot, fort surtout de la peur des insurrections. Ce ne fut qu’après la division survenue entre ces deux chefs, quand M. Molé eut pris en main les affaires, et quand, le danger passé, on commença d’ourdir des intrigues pour renverser le cabinet du 15 avril, que M. Barrot, caressé, flatté par ses adversaires, devint un homme important. Dès cette époque, il se laissa séduire par l’esprit insinuant de M. Thiers ; et, sans en avoir conscience, il servit, au détriment des siennes, les ambitions de l’adroit ministre. Toujours influencé, soit directement, soit indirectement, par MM. Thiers et Duvergier de Hauranne, M. Odilon Barrot n’en jouait pas moins, avec un aplomb imperturbable, le personnage de chef d’opposition. Il se complaisait dans ce rôle de parade dont il ne sentait pas l’inanité. Son œil bleu et placide exprimait une grande quiétude. Son visage rond et plein, je ne sais quelle roideur bourgeoise qui vise à la solennité, sa parole emphatique, son air de tête, son port et jusqu’à sa main droite invariablement passée entre deux boutonnières de sa