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HISTOIRE

avaient leur arrière-pensée. Ils trouvaient dans la tension même de cette crise dont chacun s’effrayait, des motifs de s’applaudir, parce que, selon leur conviction intime, à la première tentative d’émeute provoquée par les radicaux, le pays ouvrirait les yeux et retrouverait soudain, par la conscience du danger, le sentiment de l’ordre, c’est-à-dire une soumission absolue à la politique conservatrice. Nous allons voir de quelle manière ces prévisions furent déjouées par l’événement.

À la Chambre des pairs, c’est à peine si l’on put s’apercevoir que la situation du cabinet était empirée. L’adresse rédigée par M. de Barante reproduisait, selon la coutume, avec de légères modifications dans les termes, le discours du trône. Elle se montrait peu favorable à la réduction de l’impôt sur le sel et de la taxe des lettres. Le paragraphe relatif aux affaires de Suisse était d’une insignifiance calculée. Tout faisait présager une discussion sans franchise, engagée pour la forme seulement, afin de demeurer dans la fiction des trois pouvoirs, fiction sans laquelle la philosophie politique de l’école doctrinaire n’admet pas que l’on puisse gouverner un peuple.

Un conservateur éprouvé, M. Meynard, vint, il est vrai, demander compte au ministère de son inertie pendant la dernière session, en insistant, au nom de la majorité, pour qu’il fût donné satisfaction au besoin légitime de progrès. Les interpellations au sujet de ce que l’on appelait l’affaire Petit attirèrent bien aussi à M. Guizot, qui s’excusait en alléguant un usage fâcheux, des démentis de la part de MM. Molé, Passy, d’Argout ; mais c’étaient là des nuages fugitifs. Quand M. de Boissy exprimait le désir de voir le ministère passer bientôt du banc où il siégeait au banc des accusés, affirmant que, si l’on continuait de la sorte, les populations aviseraient comme elles avaient déjà avisé dans le passé, on s’indignait. Quand une brusque interruption de M. de Béthisy défiait le général Jacqueminot de convoquer la garde nationale, dont celui-ci vantait l’esprit excellent, on dressait