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HISTOIRE

gés de soutenir, laissent voir sur leur physionomie et dans leur contenance un malaise qui redouble l’audace de leurs adversaires. Enfin un peu de calme se rétablit ; M. Ledru-Rollin monte à la tribune. Pour la première fois, peut-être, depuis qu’il siège à la Chambre, on l’écoute avec une attention sérieuse ; pour la première fois aussi il s’élève à la hauteur des orateurs de nos grandes assemblées. Son argumentation est d’une logique serrée, son débit passionné mais contenu. Son éloquence emprunte à la cause qu’elle défend une force virile. « La faculté de se réunir est de droit naturel, imprescriptible, dit l’orateur ; il ne saurait. être entravé que par une défense catégorique, expresse. Or, non-seulement cette défense ne se rencontre nulle part dans nos lois, mais encore la Constitution de 91 garantit aux citoyens la liberté de s’assembler paisiblement et sans armes. On objecte que la Charte de 1830 est demeurée silencieuse, ajoute M. Ledru-Rollin, et qu’en dehors de ceux qu’elle octroie, il n’y a pas de droits. C’est là une bien triste et bien pauvre doctrine, sans élévation, sans grandeur, mais sans vérité surtout, et contre laquelle protestent la dignité de l’homme et la conscience humaine. » Puis, en comparant les textes, l’orateur s’attache à montrer que la Charte de 1830 n’a été qu’une série de découpures faites dans celle de 1814, qui n’était elle-même qu’un octroi jaloux, parcimonieux, de provenance étrangère. « Il est tout simple, dit-il, qu’elle ne parle pas du droit de réunion. Mais la loi qui permet aux citoyens de se réunir publiquement date de la Constitution de 1791, et le droit de s’associer, du soir même de la prise de la Bastille. » Après avoir fait sentir le vice de l’argumentation ministérielle : « Voyez où vous marchez, s’écrie M. Ledru-Rollin. De sophisme en sophisme, vous arrivez à nier toute espèce de droit en dehors des droits écrits, c’est-à-dire que vous portez atteinte à ce qu’il y a de plus vivace dans la moralité humaine, à ce qui seul ne peut pas se prescrire : le droit. Vous ébranlez ce qui est le plus profondément enraciné dans le