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HISTOIRE

grande masse des citoyens. Il ne pouvait guère prévoir, en ce moment, que cette phalange à peine armée, dont il recevait les adhésions enthousiastes, allait, à dix minutes de là, provocatrice et victime d’un assassinat effroyable, changer la face des choses, entraîner la révolution et frayer une voie sanglante à cette république dont il regardait depuis tant d’années déjà l’avènement comme impossible, ou, du moins, comme réserve aux générations à venir.

Après avoir répondu par des applaudissements à l’allocution de M. Marrast, la colonne se forma de nouveau dans le plus grand ordre et reprit la direction de la Madeleine. À la rue de la Paix, elle se grossit d’une bande qui venait de faire illuminer de force l’hôtel du ministère de la justice, et, devenue très-imposante par ce renfort, elle parvint, plus silencieuse à mesure qu’elle avançait, à quelques pas du poste qui gardait le ministère des affaires étrangères. Ce poste était composé de deux cents hommes du quatorzième régiment de ligne, commandés par le chef de bataillon de Bretonne. Le lieutenant-colonel Courant était avec eux. En voyant s’approcher, à travers une fumée épaisse, à la lueur vacillante des torches, cette masse[1] ondoyante et sombre, au-dessus de laquelle brille l’acier des sabres et des fusils, le commandant donne l’ordre à sa troupe de se former en carré[2]. Les colloques familiers éta-

  1. La colonne était formée :
    1o  De sept ou huit jeunes ouvriers alignés sur un rang et portant un drapeau rouge ;
    2o  D’un homme, portant l’uniforme d’officier de la garde nationale, qui marchait seul à quelques pas en arrière
    3o  D’un premier rang, ou l’on ne voyait que des uniformes de la garde nationale ;
    4o  D’une masse épaisse, composée d’artisans, de bourgeois, de femmes et d’enfants.
  2. Un des côtés barrait le boulevard à la hauteur de la rue Neuve-Saint-Augustin, les troupes faisant face a la Bastille. Le côté opposé, faisant face à la Madeleine, barrait le boulevard à l’angle de la rue Neuve-des-Capucines. Ces deux ailes étaient reliées par une longue