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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Cependant, cinq à six cents hommes de gardes nationaux, épars sur la place, s’efforcent de calmer le peuple. Mais le moindre incident pouvait rallumer sa colère, et le temps s’écoulait. Le général Bedeau dans cette situation périlleuse, ne recevait pas d’ordres[1]. Lorsque, lassé d’attendre et d’envoyer aux Tuileries ses aides de camp, il fit une dernière fois insister avec beaucoup de force auprès du duc de Nemours sur la nécessité de prendre un parti : « Ce n’est plus moi qui commande, » répondit le prince. – Que le général fasse ce qu’il voudra, » dit le maréchal Bugeaud. Il n’y avait plus de commandement, plus de volonté, tout était confusion, désordre, découragement, déroute.

Depuis le réveil du roi, le cabinet des Tuileries et l’état-major avaient été livrés à un flux et reflux incessant de nouvelles, d’avis, de résolutions contradictoires.

Vers neuf heures, le groupe d’hommes politiques qui devaient composer ou soutenir le nouveau cabinet, MM. Duvergier de Hauranne, de Tocqueville, Gustave de Beaumont, de Rémusat, Cousin, Baroche, de Lasteyrie, de Malleville, étaient réunis aux Tuileries. Ils insistaient pour obtenir la dissolution de la Chambre, la nomination du général Lamoricière au commandement de la garde nationale, et la suspension des hostilités. Le roi ne cédait ni ne résistait ; tout demeurait indécis pendant que le peuple, victorieux sur tous les points, s’avançait, en se resserrant et s’organisant de plus en plus, vers les Tuileries où il voulait célébrer sa victoire.

M. de Girardin, qui venait de parcourir une grande partie de la ville et qui s’était rendu compte de la démoralisation de la troupe de ligne, de l’opiniâtre aveuglement de la garde nationale et de la force de l’insurrection, se présenta et demanda à parler au roi pour essayer de lui ouvrir les

  1. Le général Regnauld de Saint-Jean-d’Angely qui commandait les cuirassiers, s’en prenant au général Bedeau de l’inaction des troupes, l’apostropha avec une vivacité extrême en lui reprochant sa conduite. Cette scène, dont plusieurs officiers furent témoins, répandit et accrédita l’accusation de trahison dont je viens de parler.