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HISTOIRE

détails, étranger aux sentiments douloureux qui éclataient en sanglots autour de lui. Le duc de Montpensier embrassait sa jeune femme enceinte, la confiait aux soins du docteur Pasquier et à la garde de M. de Lasteyrie. La princesse Clémentine, la duchesse de Nemours, tenant par la main ses deux enfants, se disposaient à suivre le roi. Les mains se serraient ; les regards échangeaient des pensées qu’on n’osait se communiquer tout haut. La grande figure de Marie-Amélie dominait de son désespoir toutes ces tristesses.

Enfin Louis-Philippe, appuyé sur le bras de la reine, suivi du duc de Montpensier, de MM. Crémieux, Ary Scheffer, Jules de Lasteyrie, Gourgaud, Roger (du Nord), Montalivet, Dumas, Rebel et Lavalette, sort du palais par un couloir étroit et sombre conduisant au vestibule de l’Horloge, et s’avance, par le jardin, vers la place. Des gardes nationaux à pied et à cheval et une compagnie de gardes municipaux occupent les allées[1] ; un escadron de dragons se forme sur deux rangs. Le triste cortége passe en silence.

Un arrivant à la grille du pont Tournant, où devaient sta-

  1. Quand Louis-Philippe fut monté en voiture, un aide de camp du général Bedeau vint exhorter ces braves soldats à ne pas suivre le roi de crainte de l’exposer davantage, et à se disperser au plus vite pour se soustraire à la fureur du peuple. L’officier qui les commandait, vieillard en cheveux blancs, hésitait. « J’ai trente ans de service, disait-il, je n’ai jamais rendu mon épée ; je ne veux pas me déshonorer. » — « On vous la rendra, s’écriait l’aide de camp ; mais, au nom du ciel, hâtez-vous, ou vous ferez massacrer tous vos hommes. » Et, moitié de gré, moitié de force, on jeta sur les épaules du vieillard un manteau bourgeois et on l’entraîna hors du jardin. Notons ici un mot héroïque dans sa naïveté. Touché de la sollicitude avec laquelle un garde municipal couvre son officier du manteau qui cache l’uniforme si dangereux à porter dans ce moment, l’aide de camp cherche autour de lui s’il ne verra pas quelqu’un qui puisse en prêter un surtout à ce brave soldat ; n’apercevant personne : « Mais vous, mon ami, dit-il au soldat, vous n’avez rien pour cacher votre uniforme ; qu’allez-vous devenir ? On vous tuera ! » – « Oh moi, mon commandant, répond le garde municipal, cela ne fait rien. »