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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

tionner les voitures, on ne les voit point. Alors le roi, tranquille jusque-là, donne de vives marques d’inquiétude. L’aspect de la place, en effet, n’était pas rassurant. Les troupes du général Bedeau étaient massées autour de l’obélisque ; mais une immense multitude les enveloppait. Les cavaliers qui servaient d’escorte au roi se voyaient poussés, refoulés ; il n’osaient qu’à demi résister à la pression du peuple, craignant de trahir, par trop de précautions, la présence des personnes royales.

« Les voitures ! mais où donc sont les voitures ? » répétait le roi. Un moment, comme on s’efforçait de gagner l’obélisque, où, par suite d’un malentendu, les voitures étaient restées, la reine fut violemment heurtée et séparée de son époux. Elle jeta un cri, chancela ; un jeune homme fit un geste comme pour la soutenir. « Laissez-moi, » dit-elle en le repoussant. Bien qu’à demi évanouie, elle avait encore la force de se trouver offensée d’un secours qu’elle ne demandait pas[1]. Le roi, ressaisissant son bras, l’enleva, en quelque sorte, et la poussa dans une des voitures, où il monta en toute hâte après elle. Les enfants de la duchesse de Nemours étaient déjà dans l’autre, debout sur les coussins, collant à la vitre leurs visages blonds et roses, plus curieux qu’effrayés du spectacle étrange qui s’offrait pour la première fois à leur vue. Leur mère les rejoignit. Alors, on donne le signal du départ. On jette encore à la hâte, par le carreau de la portière, un portefeuille tombé à terre et un sac de nuit qui contient quelques effets. « Partez, partez, partez donc ! » s’écrie M. Crémieux. Le cocher donne un vigoureux coup de fouet, et les deux voitures partent à fond de train par le quai de Passy, enveloppées d’un détachement de gardes nationaux à cheval et de deux escadrons

  1. À ce moment, un officier de cuirassiers, croyant la vie du roi menacée, adressa aux hommes du peuple qui le serraient de près quelques paroles imprudentes. « Messieurs, épargnez le roi ! dit-il. — Sommes-nous donc des assassins ? dit une voix dans la foule. Qu’il parte ? »