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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Aussitôt des hommes du peuple s’attellent à ces voitures enflammées, les traînent sous les fenêtres du poste. On apporte des bottes de paille, des fagots ; un tonneau d’esprit-de-vin est roulé sur ce bûcher. Le vent attise l’incendie, il pousse la flamme ; elle monte, s’étend, tourbillonne ; elle entoure d’une ceinture ardente le vieil édifice ; elle pénètre enfin, elle s’engouffre dans l’intérieur. C’en est fait des martyrs de la royauté, ils n’ont plus que le choix de la mort ; le lieutenant Péresse ouvre la porte et veut sortir ; il tombe frappé de plusieurs balles. Les soldats qui le suivent se précipitent sur le seuil et jettent leurs armes, en criant qu’ils se rendent, tandis que d’autres se sauvent par la porte du Musée. En voyant ses ennemis en sa puissance, la multitude pousse un rugissement de joie. Mais, aussitôt, un cri d’humanité se fait entendre. Le peuple, un instant égaré par la démence du combat, se précipite pour arracher à la mort ses ennemis. Il répand l’eau à torrent pour essayer d’éteindre l’incendie qu’il a allumé. Quel spectacle ! et comment le décrire ! Quand le peuple pénètre à travers les décombres fumants, trébuchant sur des cadavres noircis, des vêtements ensanglantés, des lambeaux humains calcinés, épars, il a horreur de sa victoire. Du sein de cette désolation, il enlève les blessés, les prend dans ses bras, les porte dans la galerie du Palais-Royal. Là, soldats de la royauté, soldats de la République, vaincus et vainqueurs, sont étendus sur des lits, des matelas, des canapés rangés à la hâte le long des murs. Des médecins, des femmes pansent les blessures, étanchent le sang qui coule, abreuvent les lèvres ardentes, commandent le silence, calment les convulsions de la mort[1].

  1. Le combat du Château-d’Eau coûta la vie à onze soldats et à trente-huit citoyens. Le lieutenant Péresse, qui avait reçu neuf coups de feu et six coups d’arme blanche, a succombé le 7 mars, trois jours après l’extraction d’une dernière balle restée dans le bras gauche. Le lieutenant Audouy a été amputé du bras droit. Des actes de courage surhumains s’accomplissaient des deux côtés, dans cette lutte fratricide. Un ouvrier tailleur, presque un enfant par